Écumer les océans en quête d’épaves de galions naufragés : un rêve d’enfant. Et un business longtemps lucratif. Au point que des sociétés spécialisées dans la traque des fonds marins ont vu le jour, à l’instar d’Odyssey Marine Exploration. Fondée en Floride et cotée en Bourse, cette entreprise s’est fait connaître avec la découverte en 2003 du Republic, un steamer américain rempli de pièces d’or, qui avait sombré au large de la Géorgie en 1865.
La société belge Cosmix Underwater Research s’est pour sa part fait un nom en fouillant de 2004 à 2005 les profondeurs au large de l’île de Java, sous l’égide des ministères indonésiens de la Pêche et de la Culture, pour remonter des profondeurs les trésors d’un navire du Xe siècle. Une pêche miraculeuse, qui aura coûté 10 millions de dollars : plus de 270 000 objets remonteront des profondeurs, des rubis, saphirs, céladons chinois et objets en cristal de roche. L’ensemble, estimé 80 millions de dollars et dont 50 % du produit devait revenir à l’État indonésien, a fait l’objet d’une première vente aux enchères infructueuse en 2010, avant d’être reproposée de gré à gré en 2012.
De son côté, le chasseur de trésors britannique Michael Hatcher a exhumé en 1984 des fonds marins les trésors du Nanking Cargo, un navire hollandais échoué en 1752. Deux ans plus tard, il écoule la cargaison de 100 000 céramiques bleues et blanches chez Christie’s, à Amsterdam. Avec succès : 13,5 millions de dollars – du jamais vu pour une vente de céramique. Achetés par des collectionneurs du monde entier, ainsi que par le Ritz Carlton à Londres, ces objets ont alimenté pendant des décennies puces et antiquaires. En 2004, l’antiquaire Axel Vervoordt a ainsi cédé chez Christie’s huit pots à fleurs bleu et blanc, issus de la vente, pour 20 000 euros, soit dix fois leur estimation.
Des lois strictes
D'après l’Unesco, près de 3 millions d'épaves jonchent les profondeurs sous-marines. Mais peu d’entre elles contiennent suffisamment d’objets de valeur pour rentabiliser la recherche. D’autant que celles-ci sont régies par des lois très strictes. Les cargaisons identifiées doivent être déclarées et seuls les trésors relevés dans les eaux internationales peuvent être conservés. À condition toutefois que les navires repêchés ne battent pas pavillon espagnol, anglais ou américain, car la pêche miraculeuse revient alors aux pays concernés. Ainsi Odyssey Marine Exploration, qui avait découvert en 2007 l’épave d’une frégate espagnole coulée en 1804 au large du Portugal, a dû restituer à l’Espagne le butin de 500 000 pièces d’argent évalué à 350 millions d’euros.
La France, qui possède le deuxième plus vaste espace maritime du monde, soit 11 millions de km2 répartis dans toutes les mers du globe, est tout aussi stricte. Son code du patrimoine stipule que toutes les découvertes maritimes appartiennent à l’État, et doivent être déclarées. Au mieux les chasseurs de trésors peuvent-ils parfois espérer des récompenses.
Ruée sur les paquebots
Si les reliques exhumées des fonds marins ont la cote, les paquebots eux-mêmes fascinent les collectionneurs. Pas les monstres des mers, associés désormais aux catastrophes environnementales et à la propagation de la pandémie. Non, les colosses d’acier de l’entre-deux-guerres de la Compagnie générale transatlantique, apogée du savoir-vivre et du savoir-faire Art déco. Les meubles et objets de décoration qui les rendaient si attrayants constituent un véritable marché. Tout ce qui touche la vie à bord est désormais collectionné, du moindre cendrier au menu.
Symbole de cette « French Line », le Normandie, qui, de 1935 jusqu’à la guerre, dessert la ligne Le Havre-New York. Les meilleurs décorateurs de l’époque sont recrutés pour ses aménagements. René Lalique réalise douze piliers en cristal, trente-huit colonnes lumineuses et deux chandeliers monumentaux éclairant l’immense salle à manger des premières classes. Jean Dupas signe les grands panneaux en verre églomisé du salon. Raymond Subes façonne les portes monumentales de la salle à manger.
Réquisitionné par les Américains en 1941 et rebaptisé USS Lafayette avant d’être ravagé par un incendie en 1942 dans le port de New York, le Normandie a conservé son aura. En 2009, Sotheby’s adjugeait ainsi pour 512 500 dollars dix panneaux de Jean Dupas représentant le Triomphe de Vénus. Des prix qui, toutefois, ne rivalisent pas avec les fleurons de l’Art déco. Car les meubles de paquebots sont plus solides que précieux, les conditions hygrométriques interdisant l’usage d’ébène de Macassar ou de la marqueterie.
Plus tardif, le France aussi fait partie des paquebots de légende, construit par les chantiers de Saint-Nazaire. Mis à l’eau en 1960, ce navire long de plus de 300 mètres est un objet de prestige, mais une aberration économique. Trop coûteux, il sera délaissé au Havre pendant cinq ans, puis rebaptisé Norway, avant d’échouer chez un ferrailleur indien qui le désosse. Jusqu’à ce qu’un amateur français, Jacques Dworczak, en rachète près de 500 pièces en Inde avant de les revendre pour plus d’un million d’euros chez Artcurial à Paris, en 2009. Pièce maîtresse de la vente, le fameux « nez », plus précisément l’élément supérieur de l’étrave du paquebot, s’adjuge pour 273 162 euros au promoteur immobilier Jean-Pierre Véron. En difficulté financière, ce dernier sera contraint de le revendre en 2017. Le ministère de la Culture le préempte alors pour 171 600 euros pour le compte de la ville du Havre, dont le maire, Édouard Philippe, est devenu entre-temps Premier ministre... On ne badine pas avec l’orgueil national.