Le Quotidien de l'Art

Marché

NFT : mode passagère ou marché durable ?

Mad Dog Jones, REPLICATOR (1ère génération), NFT. Vendu 4,1 millions de dollars chez Philipps.
Mad Dog Jones, REPLICATOR (1ère génération), NFT. Vendu 4,1 millions de dollars chez Philipps.


© Mad Dog Jones/Courtesy Phillips.

Pak, Fungible Open Edition, Single Cube.
Pak, Fungible Open Edition, Single Cube.
Courtesy Sotheby’s & Pak.
Pak, The Switch.
Pak, The Switch.
Courtesy Sotheby's & Pak.
Brian Calvin, Screen Test (Pearl), 2021, NFT.
Brian Calvin, Screen Test (Pearl), 2021, NFT.
Courtesy Brian Calvin et Almine Rech.
César Piette, Redhead woman on seascape.
César Piette, Redhead woman on seascape.
© César Piette/Courtesy César Piette et Almine Rech.
César Piette, Snow on mountain.
César Piette, Snow on mountain.
© César Piette/Courtesy César Piette et Almine Rech.

Les NFT – jetons non fongibles (de l’anglais Non Fungible Tokens) – explosent depuis mars de cette année. D’après un rapport publié en mai par la société britannique d'analyse artistique ArtTactic, il s’en est vendu pour 437 millions de dollars entre janvier et mai 2021. Et le secteur évolue très, très vite. Le point culminant a été atteint en mars lorsque le graphiste Beeple – inconnu jusque-là dans le monde de l'art – a vendu pour près de 70 millions de dollars un NFT représentant sa compilation numérique, Everydays, the First 5000 Days. S’il s'agit, de loin, du montant le plus élevé jamais atteint par un NFT, d'autres se chiffrent en millions de dollars, comme les 9 Cryptopunks de Larva Labs, vendus en mai, également chez Christie's, pour près de 17 millions de dollars. Le boom – ou la bulle – du NFT a propulsé sous les projecteurs tout le secteur de l'art numérique. Subitement, des créateurs comme Mad Dog Jones, XCopy ou Pak, dont les noms étaient inconnus sur le marché de l'art, produisent des œuvres qui dépassent le million de dollars. Un peu plus d'un an auparavant, on pouvait encore acheter du Pak ou du Beeple pour 1000 dollars. Aujourd'hui, le rapport d'ArtTactic évalue la part des NFT à environ 11 % de l’ensemble du marché. Ce n'est pas écrasant, mais c’est tout de même beaucoup, comparé aux chiffres extrêmement bas d’avant 2021.

Sotheby’s & Christie’s se mettent aux NFT

Si l’on se demande pourquoi le marché était si négligeable, la raison en est simple : jusqu’ici, il était presque impossible de revendre de l'art numérique, car il était difficile de prouver que l’on était propriétaire d'une œuvre qui pouvait être téléchargée gratuitement sur internet. Les créateurs et les acheteurs se situaient donc en dehors des circuits habituels. En outre, les principaux acteurs du marché de l'art – les gardiens du temple de l’art –, comme les maisons de ventes aux enchères et les galeries, ne vendaient pas de NFT. La situation a radicalement changé. Même la galerie Almine Rech, qui a pignon sur rue, a vendu sous forme de NFT des éditions des artistes César Piette et Brian Calvin. Les prix commençaient à 250 dollars. Tout a été vendu. Sotheby's, Christie's et d’autres ont adopté les NFT avec enthousiasme. Ils acceptent même, pour certaines œuvres, le paiement en cryptomonnaie. Chez Sotheby's, un Banksy, Love is in the Air, s'est vendu en mai pour 12,9 millions de dollars, en même temps que le Beeple. La tendance est conséquente. Avec les cryptomonnaies, qui ont le vent en poupe, il ne fait aucun doute que les nouveaux riches en Bitcoin, en Éther et autres monnaies vont faire monter les prix. D'autant plus que leurs possibilités d’investissement sont assez limitées.

Une bulle spéculative ?

Il y a aussi des manœuvres dans l'air : les acheteurs du Beeple ont fractionné leur achat en vendant des jetons dans leur fonds Metapurse. À leur point le plus haut (juste après la vente du Beeple), les jetons B.20 valaient 24 euros ; aujourd’hui, ils tournent autour de 1 euro. En avril, en effet, selon Non-Fungible.com, le prix moyen des œuvres de crypto-art avait chuté de 60 % au cours des deux mois précédents. Il est important de préciser que la plupart des NFT n’atteignent pas des montants faramineux. Une recherche publiée sur Medium montre que 33 % des NFT vendus sur la plateforme OpenSea en une semaine, pendant la « ruée vers l'or » de mars, ont rapporté moins de 100 dollars ! Dans certains cas, c'était moins que le coût énergétique nécessaire pour « frapper » ces jetons. Cela dit, les NFT créent un nouveau type d'art, une nouvelle façon de l'acheter, de nouveaux collectionneurs, et une nouvelle manière de rétribuer les artistes, car les contrats peuvent prévoir des redevances sur la revente. Mais il est bon de rappeler les cinq étapes d'une « bulle », telles que les définit l'économiste Hyman Minsky : nouvelle technologie, argent bon marché, amnésie des krachs précédents (souvenez-vous du boom des dot.com et des marchés immobiliers), euphorie, puis krach. Ce n’est pas dire que les NFT vont disparaître, mais plutôt qu’ils sont aujourd'hui largement surévalués et qu'une correction suivra certainement. Sans parler de la qualité de l'art, qui est un tout autre débat...

Article issu de l'édition Hors-série du 01 juin 2021