Le Quotidien de l'Art

Politique culturelle

Coup d'accélérateur sur l'étude des œuvres spoliées

Coup d'accélérateur sur l'étude des œuvres spoliées
David Zivie.
Photo Didier Plowy/Ministère de la Culture et de la Communication.

Après de longues années de négligence, la nécessité d’éclaircir l’origine des œuvres de nos musées se fait sentir. Probablement portée par l’épineuse question du contexte d’acquisition du patrimoine dit colonial, l'étude des spoliations progresse. Le Louvre et d'autres grands musées, ainsi que Drouot, entendent mener une action concrète dans ce devoir de mémoire.

27 œuvres restituées pour la seule année 2020. Le chiffre confine au record même si on reste loin de la prouesse quand on sait que « seules » 93 œuvres classées « MNR » (Musées Nationaux Récupération) sur les 2181 que comprend ce fonds revenu d’Allemagne en 1945 et confié à la garde des musées nationaux ont été restituées en près de 70 ans (de 1946 à 2013). Mieux, en octobre était entérinée la restitution de trois œuvres d’André Derain appartenant au domaine public et non classées « MNR ». Comme le répète à l’envi David Zivie, à la tête de la jeune mission de recherche et restitution des biens spoliés créée en 2019 au ministère de la Culture, « toutes les œuvres spoliées ne sont pas des MNR et inversement ». Son cheval de bataille qu’est le questionnement de l’ensemble des collections publiques porte ses fruits.

Le Louvre ausculte ses collections

Gardien de 80 % des MNR qu’il expose en partie depuis 2017, le Louvre faisait un point le 10 mars dédié aux recherches sur toutes ses acquisitions entre 1933 et 1945. Il est devenu le premier musée à engager ce travail en recrutant en 2020 Emmanuelle Polack, chercheuse de provenance aguerrie. Grâce à ses efforts, 60 % à 70 % des 13 900 acquisitions concernées ont été passées en revue. Dans l’attente d’un bilan final d’ici 5 ans et l’approfondissement des recherches, rares sont les œuvres jugées problématiques avec certitude. Deux majoliques issues de la collection du beau-père de Thomas Mann ont démontré avoir été acquises lors d’une vente forcée à Londres. Dans les antiquités orientales, une œuvre préemptée lors d’une vente de biens israélites en 1943 est problématique. Au département des arts graphiques, quatre dossiers le sont également, en particulier la fameuse « vente Dorville » de Nice en 1942 embourbée dans un bras de fer avec les héritiers.

Drouot se lance

Pionnier, le Louvre ne fait pas cavalier seul pour autant. Versailles, Orsay ou Pompidou ont entamé le même chantier. D’autres musées s’interrogent comme à Sens, ou à Aix-les-Bains. Autorisée depuis cette année à faire appel à des chercheurs externes en plus de son équipe de cinq personnes, la mission du ministère monte en puissance et commence à être saisie par les musées pour des vérifications lors d’acquisition, comme un Dufy donné récemment au MuMA du Havre, mais aussi par les services du ministère lors de l'instruction de certificats d’exportation, et même par quelques (encore rares) acteurs du marché de l’art en préparation de vacations. La signature d’un partenariat le 10 mars entre le Louvre et Drouot, disposé à ouvrir ses archives à la recherche, est sur ce plan symptomatique. « Il faut affronter cette histoire et ne pas la réécrire », tonne Alexandre Giquello, président de Drouot Patrimoine. Cette accessibilité des archives se retrouve en ce mois de mars par la mise en ligne de l’ensemble des Gazette Drouot publiées de 1891 à 1950.

La parole des spoliés

Cet élan ne pourrait aboutir sans un effort de sensibilisation du public. Orsay mitonne une prochaine exposition sur les liens entre marché de l’art et musées sous l’Occupation en prenant la médiatique collection Gurlitt comme point d’entrée. Arte programme deux documentaires sur la question. Si celui sur le marché de l’art sous l’Occupation, basé sur les travaux d’Emmanuelle Polack, n’a pas encore de date de diffusion précise, celui portant sur le rôle de Goering dans la spoliation est visible depuis le 28 mars à minuit. « Il ne faut pas que les mémoires se taisent, avec le temps tout s’effiloche et la parole des descendants est aussi importante que touchante dans leur combat », explique la réalisatrice Laurence Thiriat, qui met en récit, sans pathos ni excès, des archives bureaucratiques et le catalogue d’œuvres spoliées du dignitaire nazi à partir de la voix des héritiers de familles spoliées. Longtemps tue car considérée au mieux comme anecdotique, au pire comme communautaire, leur parole devient peu à peu audible et mise en avant. En voilà aussi pour preuve la parution en septembre de la Collection disparue où Pauline Baer de Pérignon relate son enquête sur la collection de son arrière-grand-père Jules Strauss (voir QDA du 11 février). S’il faut saluer la prise de conscience sur la politique d’acquisition des années d’Occupation, un travail autrement plus ardu attend les conservateurs : celui de l’examen des enrichissements d'après-guerre. Si les recherches sur les spoliations sont devenues un sujet de société, elles sont encore décorrélées des restitutions effectives. Trois quarts de siècle après les faits, un espoir point outre-Rhin : début février, la commission consultative allemande pour la restitution des biens culturels spoliés a proposé le retour d’un tableau d’Erich Heckel au motif d’une « présomption de spoliation ».

Vente à l'Hôtel Drouot, 5 juin 1942.
Vente à l'Hôtel Drouot, 5 juin 1942.
Roger-Viollet/Courtesy Musée du Louvre.
Jean-Luc Martinez ouvre le colloque "Les Acquisitions du musée du Louvre entre 1933 et 1945. Premier bilan" le 10 mars denier.
Jean-Luc Martinez ouvre le colloque "Les Acquisitions du musée du Louvre entre 1933 et 1945. Premier bilan" le 10 mars denier.
Courtesy Musée du Louvre.
Extrait du film de Laurence Thiriat, "Le Catalogue Goering Une collection d'art et de sang",  2019.
Diffusé sur Arte le 28 mars dernier.
Extrait du film de Laurence Thiriat, "Le Catalogue Goering Une collection d'art et de sang", 2019.
Diffusé sur Arte le 28 mars dernier.
Flair Production/Courtesy Arte.
Extrait du film de Laurence Thiriat, "Le Catalogue Goering Une collection d'art et de sang",  2019.
Extrait du film de Laurence Thiriat, "Le Catalogue Goering Une collection d'art et de sang", 2019.
Flair Production/Courtesy Arte.
Extrait du film de Laurence Thiriat, "Le Catalogue Goering Une collection d'art et de sang",  2019.
Diffusé sur Arte le 28 mars dernier.
Extrait du film de Laurence Thiriat, "Le Catalogue Goering Une collection d'art et de sang", 2019.
Diffusé sur Arte le 28 mars dernier.
Flair Production/Courtesy Arte.
Extrait du film de Laurence Thiriat, "Le Catalogue Goering Une collection d'art et de sang",  2019.
Diffusé sur Arte le 28 mars dernier.
Extrait du film de Laurence Thiriat, "Le Catalogue Goering Une collection d'art et de sang", 2019.
Diffusé sur Arte le 28 mars dernier.
Flair Production/Courtesy Arte.
Laurence Thiriat, "Le Catalogue Goering Une collection d'art et de sang",  2019.
Diffusé sur Arte le 28 mars dernier.
Laurence Thiriat, "Le Catalogue Goering Une collection d'art et de sang", 2019.
Diffusé sur Arte le 28 mars dernier.
Flair Production/Courtesy Arte.
Erich Heckel, "Geschwister" (Frère et soeur), 1913, huile sur toile.
Début février, la commission consultative allemande pour la restitution des biens culturels spoliés a proposé le retour de ce tableau d’Erich Heckel au motif d’une « présomption de spoliation ».
Erich Heckel, "Geschwister" (Frère et soeur), 1913, huile sur toile.
Début février, la commission consultative allemande pour la restitution des biens culturels spoliés a proposé le retour de ce tableau d’Erich Heckel au motif d’une « présomption de spoliation ».
VG Bildkunst.

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Par Jade Pillaudin

Article issu de l'édition N°2142