« D’ailleurs, c’est toujours les autres qui meurent », est gravé sur la tombe rouennaise de Marcel Duchamp. S’il est bien une chose dont nous sommes certains, c’est de notre finitude. Dans le monde occidental, les corps ont généralement un cimetière comme demeure éternelle. Éternelle, vraiment ?
Une gestion municipale héritée du XIXe siècle
Géographiquement éloignés des centres-villes, les cimetières n’ont pas toujours été composés de tombes et caveaux. Entre le Moyen-Âge et le dernier tiers du XVIIIe siècle, « l’organisation funéraire, dans les pays essentiellement catholiques, se caractérise par deux traits », écrit le professeur d’histoire Régis Bertrand dans l’ouvrage dirigé par Guénola Groud, Cimetière et patrimoine funéraire. Étude, protection, valorisation, « l’inhumation à l’intérieur des lieux de culte urbains ou dans les agglomérations, parfois contigus ou souvent proches de ces lieux de culte ». À part quelques privilégiés, la majorité de la population était alors enterrée dans des fosses communes. Le conservateur du cimetière du Père-Lachaise Benoît Gallot rappelle dans le même livre qu’« en 1780, l’une des fosses communes du cimetière des Innocents, situé en plein cœur de Paris, se déversa dans la cave d’une maison avoisinante. » Vivants et morts cohabitaient et cette « proximité sinon promiscuité des morts avec les vivants a été remise en cause par déclaration royale, qui a réduit de façon drastique le droit d’être inhumé dans une église et a posé le principe de la translation des cimetières hors de l’espace habité. » Ainsi dans les villes (la situation n’était pas la même dans les villages) de l’Ancien Régime, chaque paroisse, chaque hôpital avait son cimetière. Les ordres religieux possédaient quant à eux parfois un enclos.
Ce sont les préoccupations hygiénistes grandissantes qui œuvrent à l’élaboration, par le médecin et ministre de l’Intérieur Jean-Antoine Chaptal, à la mise en place du décret du 23 prairial an XII (12 juin 1804) : « Les lieux de sépulture sont insalubres et potentiellement dangereux, avant tout par les odeurs méphitiques (puantes et toxiques) qui en émanent », détaille Régis Bertrand. Le premier article du décret interdit l’inhumation au sein des « édifices clos et fermés où les citoyens se réunissent pour la célébration de leur culte » et les cimetières doivent être établis « hors des enceintes des villes et bourgs ». Ce premier texte crée donc les concessions funéraires et met fin aux fosses communes. Le système funéraire est également repensé : il est soustrait à l’Église pour être confié aux municipalités où le système des concessions a contribué à la multiplication des monuments funéraires. Près de 40 ans après le décret de l’An XII, l’ordonnance royale est élargie aux villages et « établit trois classes de concession : perpétuelle, trentenaire et temporaire (quinzenaire) », décrit Régis Bertrand. Il est par ailleurs instauré que les concessions sont cédées contre…