Le Quotidien de l'Art

Marché

Les ventes de mode vintage ont la cote

Les ventes de mode vintage ont la cote
Vente « Madame Chantal Thomass, 40 ans de mode » le 6 mai 2021 chez Millon, Paris.
Photo Jo Zhou.

Portées à la fois par l’essor du numérique et la conscience environnementale, les ventes de vêtements griffés connaissent un boom que la pandémie n’a pas freiné. Radiographie d’un marché vacciné contre la crise.

Les occasions de sociabilité se sont raréfiées ? Les enchères de mode et haute couture n’en affichent pas moins une santé presque insolente. Depuis plus de 20 ans déjà, la haute couture et le prêt-à-porter de luxe se sont frayés un chemin dans les grandes maisons de ventes. Celles-ci bénéficient de plusieurs tendances de fond : le goût inoxydable pour le vintage, le besoin de se singulariser à bas prix, la prise de conscience environnementale. À cela s’ajoute un intérêt patrimonial de la part des marques, soucieuses de (re)constituer leurs archives. Quant aux musées généralistes, ils expriment de plus en plus le souhait d’ajouter une corde « mode » supplémentaire à leur arc pour attirer un nouveau public. De fait, les habits vintage ont acquis la même légitimité patrimoniale que des œuvres d’art.

Ces derniers sont aiguillés selon leurs qualité et rareté dans les ventes monomarques autour d’Hermès ou Chanel, ou dans les ventes haute couture. « On a affaire à des particuliers qui veulent des pièces plus abordables, de l’ordre de 50 % moins cher par rapport au prix boutique sauf pour les bestsellers de ces marques », précise Hubert Felbacq, directeur du département mode et haute couture chez Cornette de Saint Cyr. « Les prix des sacs Hermès ou Chanel sont sans surprise, sauf quand on a un spécimen exceptionnel, avec une peau ou un coloris particulier », ajoute la spécialiste Pénélope Blanckaert. Les modeuses se pressent vers les pièces les plus identifiables, comme le tailleur en tweed Chanel, qui peuvent s’échanger autour de 1 500 euros. Encore faut-il que la pièce soit d’une collection emblématique d’une maison elle-même iconique. Les goûts sont on ne peut plus fluctuants. Une robe Dior de 1957 modèle Zerline en taffetas de soie noir, qui valait 68 000 euros en 2013 a plafonné à 8 200 euros en 2017. « Le sac Constance de la marque Hermès faisait désuet, un peu dame, mais depuis qu’il a été relooké il se vend très bien en boutique et on constate une demande sur le second marché », remarque Hubert Felbacq. Si les femmes même les plus fortunées ne s’habillent plus forcément en couture, « elles sont prêtes à acheter un pan de rêve », observe Camille de Foresta, spécialiste chez Christie’s. Un rêve et une singularité. « J’ai parmi mes clientes des femmes d’affaires chinoises qui achètent des pièces vintage Chanel et pas des tailleurs neufs, pour se distinguer de leurs concurrentes », ajoute Didier Ludot, célèbre antiquaire parisien qui, après avoir cédé sa collection chez Sotheby’s en 2015 et 2017, vendra en juillet prochain un dernier volet chez Cornette de Saint Cyr. 

Bons crus

Attention, prévient toutefois Pénélope Blanckaert, « les maisons de ventes aux enchères n’ont pas vocation à concurrencer les plateformes digitales qui ont investi des sommes énormes dans la logistique ». Aussi est-ce plutôt dans la catégorie haute couture ou dans le dressing des stars que les maisons de ventes aux enchères se démarquent. Ainsi du record de 542 200 euros obtenu par un manteau du soir d’Elsa Schiaparelli, ayant appartenu à l’actrice Renée de Saint-Cyr, chez Cornette de Saint Cyr en février dernier. Ce vêtement rare dont on ne connait que deux autres exemplaires a été acheté par un privé. Mais à ce niveau de prix, ce sont bien souvent les musées qui prennent la relève. C’est la National Gallery of Victoria, à Melbourne en Australie, qui s’est offert en 2019 chez Christie's pour 382 000 euros la veste brodée Tournesol d’Yves Saint Laurent. Depuis quelques années, les départements patrimoine des maisons de mode sont entrés dans la danse. « Certaines m’ont parfois acheté trois fois les mêmes pièces car elles organisent des expositions partout dans le monde et ont besoin de les faire tourner », indique Didier Ludot.

Derrière les grandes marques inoxydables, d’autres créateurs sont plébiscités à l’instar de Martin Margiela, auquel Artcurial et Sotheby’s ont dédié des ventes. Le couturier belge n’est plus aux affaires depuis plus de dix ans. Mais il a imposé, au-delà d’un style basé sur le recyclage, une manière unique de penser la mode. Au point que ses collections sont constamment citées et réinterprétées par d’autres stylistes. Aussi les ventes dédiées à ce créateur très secret ont-elles fait un tabac. Ainsi d’un long pull-over en gros tricot de laine fantaisie, de la collection Automne-Hiver 1990/1991, estimé 700 euros et vendu 11 700 euros chez Artcurial. Encore faut-il que les pièces vendues correspondent aux « bonnes années » d’une maison. La vente d’un vestiaire Paco Rabanne chez Millon le 31 mai fera office de test, avec des estimations ultra-attractives de 120 à 500 euros. Pour les mordus des petites robes métalliques portées par Brigitte Bardot ou Françoise Hardy comme pour les fans du film Barbarella, dont il dessina les costumes futuristes, le créateur reste associé aux années 1960. Les décennies suivantes sont bien moins prisées. Mais depuis que Julien Dossena, le nouveau directeur artistique nommé en 2013, a ranimé la marque déclinante, celle-ci a davantage la cote. Verdict le 31 mai.

Elsa Schiaparelli, manteau du soir en drap de laine noir et broderie Maison Lesage, collection Haute Couture automne - hiver 1938/1939, vendu 540 000 euros chez Cornette de Saint Cyr.
Elsa Schiaparelli, manteau du soir en drap de laine noir et broderie Maison Lesage, collection Haute Couture automne - hiver 1938/1939, vendu 540 000 euros chez Cornette de Saint Cyr.


Photo François Benedetti.

Yves Saint Laurent, veste Tournesols, collection printemps-été 1988, vendue 382 000 euros chez Christie's Paris, 2019.
Yves Saint Laurent, veste Tournesols, collection printemps-été 1988, vendue 382 000 euros chez Christie's Paris, 2019.
© Christie's Images Ltd.
Takada, Boléro Opéra en jacquard caviar, collection automne-hiver 2007/2008. Vente online de créations inédites de la collection personnelle de Kenzo Takada, du 3 au 12 mai 2021 chez Artcurial.
Takada, Boléro Opéra en jacquard caviar, collection automne-hiver 2007/2008. Vente online de créations inédites de la collection personnelle de Kenzo Takada, du 3 au 12 mai 2021 chez Artcurial.
Courtesy Artcurial.
Paco Rabanne, robe de mariée en gaze translucide rose pâle à filaments irisés, collection automne-hiver 1984/1985. Vente « Paco Rabanne on stage » le 31 mai 2021 chez Millon, Paris.
Paco Rabanne, robe de mariée en gaze translucide rose pâle à filaments irisés, collection automne-hiver 1984/1985. Vente « Paco Rabanne on stage » le 31 mai 2021 chez Millon, Paris.
Photo Tania et Vincent.
Camille de Foresta.
Camille de Foresta.
© Christie's Images Ltd.
Hubert Felbacq.
Hubert Felbacq.
© Cornette de Saint-Cyr.
Didier Ludot.
Didier Ludot.
© SIPA.

À lire aussi


Édition N°2783 / 07 mars 2024

4,7 milliards €

Le marché français des ventes aux enchères en 2023

Par Jade Pillaudin


Qu'est-ce qu'une œuvre authentique ?
Article abonné

L'art vidéo à l'épreuve du temps 
Article abonné

Article issu de l'édition N°2140