Lors d’une conférence en ligne organisée par le Louvre Abu Dhabi, du 18 au 20 novembre 2020, Chris Dercon, le président de la Rmn-Grand Palais, a posé la question : « Continuons-nous à diffuser des contenus numériques sans système de monétisation ? » Est-ce vraiment réaliste et surtout raisonnable ? Demander à ces contenus numériques de devenir des sources de financement revient à en diminuer voire à en supprimer l’impact. En outre, les difficultés rencontrées par d’autres industries culturelles telles que le cinéma, la musique, la presse ou la télévision dans la monétisation de leurs contenus numériques rendent l’exercice bien difficile pour le secteur muséal. D’ailleurs, avant ou depuis la pandémie, peu de musées dans le monde ont essayé de commercialiser leurs contenus. En novembre, la National Gallery de Londres a mis en vente une visite vidéo de son exposition « Artemisia » au prix de 8 livres sterling (environ 8,90 euros) pour 30 minutes, tandis que le Design Museum propose, en décembre, la visite vidéo de son exposition « Electro » au prix de 5 livres (environ 5,50 euros). La décision du premier a été assez fortement critiquée par la presse britannique qui considère que l’institution « ne respecte pas ses missions ». À l’image de Netflix ou de Spotify, seule une offre packagée de contenus culturels multi-lieux, vendue en forfait mensuel, pourrait éventuellement attirer et fidéliser un public suffisant.
Des activités et de l’exceptionnel
Certains retours d’expériences menées par des musées anglo-saxons pendant leur confinement tendent toutefois à prouver que des activités numériques muséales pourraient s’avérer monétisables. La National Gallery de Londres a également été l’une des premières à basculer ses sessions de cours sur Zoom, rejointes par de nombreux autres musées anglais (Tate, British Museum, Victoria & Albert Museum), américains (Carnegie Pittsburgh, Met, Guggenheim, Whitney, Museum of Fine Arts de Boston) et français (Paris Musées). Ces cours en ligne pour adultes et pour enfants sont vendus avec succès, à l’unité ou entre 30 et 400 euros la session ou la série de cours. Déclinaisons estivales, les summer camps ont souvent fait le plein (de 120 à 150 euros la semaine) et les musées annoncent déjà des programmes étoffés pour l’été 2021. D’autres lieux, tels que le Van Abbe Museum Eindhoven, la Frick Collection, le musée juif de Londres ou le Met réussissent à commercialiser des visites interactives de leurs salles permanentes ou de leurs expositions, avec un « vrai » guide, via Zoom ou parfois un robot. Ces expériences virtuelles peuvent être vendues de 10 à 15 euros par personne de manière individuelle, ou 200 à 300 euros pour un groupe de 30 à 40 participants. En décembre, la Cité de l’Architecture et la Fondation Louis Vuitton lancent cette nouvelle forme de visite en ligne payante.
En dehors des activités de visites et de cours en ligne, mais avec intervention humaine, des institutions proposent également des événements uniques payants. Ils ont ainsi sollicité leurs communautés pour des concerts en direct ou enregistrés dans leurs salles (MCA Chicago), des escape games virtuels (Museum d’histoire naturelle d’Oxford, Mattatuck Connecticut), la visite en direct d'un cimetière par le musée d'histoire du comté de McLean et même des soirées de gala, qui associent spectacle et collecte de fonds (Museum of the African Diaspora de San Francisco, IAC Boston, musée des Beaux-Arts de Montréal et de Québec et en décembre le musée du Louvre). Le 28 octobre 2020, la soirée virtuelle de collecte de fonds du Country Music Hall of Fame et du musée de Nashville a ainsi rapporté plus de 743 000 dollars.
Des revenus indirects
D’autres approches moins directes semblent assez prometteuses. Des opérations marketing (happy hour, livestreaming) ont permis à des boutiques en ligne de musée (KMAC Louisville, Rijksmuseum, Van Gogh Museum) de doper leurs ventes à l’approche de Noël, et pas seulement celles de leurs masques inspirés par leurs œuvres. La stratégie du « pay as you wish » a permis à des musées (MoMA PS1, Phoenix Museum, Walters Museum Baltimore) de financer certaines de leurs activités en ligne grâce à des dons facultatifs. D’autres comme le MoMA, le Seattle Museum of Art, l'Art Institute de Chicago ou le Cleveland Museum of Art ont réservé une partie de leurs contenus ou activités numériques à leurs membres, afin de les fidéliser et d’en conquérir de nouveaux. Quelques exemples récents prouvent enfin l’intérêt de certains mécènes (Uniqlo, Nikon, Chase Bank, Netflix, Google) pour financer les nouveaux contenus numériques du MoMA, de la National Gallery, du Virginia Museum of Fine Arts et du Brooklyn Museum.
Les pratiques, même les plus innovantes, des musées du monde entier prouvent néanmoins que l’exercice n’est pas si facile. Et il serait dommage de mettre en péril la relation forte que les institutions ont pu créer avec leurs visiteurs virtuels pendant le confinement. Un atout essentiel dans le monde encore très incertain de demain.