Le Quotidien de l'Art

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Les galeries hors circuit officiel face à la crise

Les galeries hors circuit officiel face à la crise
Vernissage en galerie chez Carré d'artistes.
Courtesy Carré d'artistes.

De Mickael Marciano à Bartoux, un réseau d’enseignes opère en parallèle des galeries d’avant-garde, préférant un art plus populaire, avec un succès commercial certain. Installées dans les quartiers huppés fréquentés par une clientèle internationale, elles souffrent de la baisse du tourisme, parfois sauvée par les ventes en ligne. 

Au tournant des années 1980, Gilles Dyan et Kamel Mennour ont débuté ensemble, en vendant des lithographies dans les centres commerciaux de banlieue. Des débuts d’outsiders qui ont façonné leur légende personnelle. Par la suite, leurs trajectoires se sont largement éloignées : le premier a fondé Opera Gallery, avec une vision de l’art populaire et un réseau international, le second défend des artistes vivants d’avant-garde et la place de Paris. Comme l’enseigne de Gilles Dyan, une série de galeries – Mickael Marciano, Bartoux, Carré d’artistes ou Bel Air –, boudées par leurs confrères, officient en parallèle des circuits officiels de l’art, avec des œuvres allant jusqu’au kitsch. Hormis Opera Gallery, présente à la Brafa ou à Art Paris grâce à son catalogue d’artistes modernes, ces acteurs sont absents des grandes foires, des louanges des critiques et leurs artistes des institutions. Ce n’est pourtant pas sans succès commercial. Opera Gallery a ainsi déployé 13 antennes, d’Aspen à Dubaï, et, selon Les Echos, affichait 200 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2018. Bartoux compte de son côté 18 galeries, un fichier de 30 000 clients et un chiffre d’affaires de 44 millions d’euros. Carré d’artistes a essaimé dans 30 espaces et récemment développé des franchises tandis que Mickael Marciano a ouvert cinq espaces dans la capitale. 

Parmi les ingrédients de leur succès, la défense d’un art facile d’accès. « Notre philosophie est de promouvoir l'art au plus grand nombre, professe Laura Bartoux, directrice de la communication de la galerie familiale. Nous nous inspirons beaucoup de l'univers fashion du luxe : Chanel, Dior, Louis Vuitton... Toutes nos galeries se ressemblent, de cette façon nos clients, à Paris, Miami, Londres ou New York savent dès qu'ils passent la porte qu'ils sont chez nous. » L’optique est sensiblement similaire chez Carré d’artistes. Christelle Olivi, sa directrice marketing, explique : « L’art a la réputation d’être réservé à une élite. Nous adoptons une démarche à contre-pied : l’accessibilité en termes de prix, de positionnement mais aussi de discours et d’accueil au sein de nos espaces. »

Autre facteur de la réussite de ces enseignes : s’implanter là où circulent les visiteurs internationaux les plus fortunés, en voyage d’affaires ou en vacances, au cœur des quartiers huppés – avenue Matignon ou place des Vosges à Paris, Madison Avenue à New York, mais aussi Megève ou Monaco. « Nous avons toujours privilégié de beaux emplacements, aisément accessibles, dans les quartiers de shopping de luxe. Cette singularité a été critiquée mais beaucoup de grandes galeries nous ont suivis depuis », observe Fatiha Amer, directrice d’Opera Gallery à Paris. La galerie est installée rue du Faubourg Saint-Honoré, sur Madison Avenue à New York, sur la place historique de Longemalle à Genève ou au cœur d’Aspen, station de ski des stars dans le Colorado. Conséquence : pour ces acteurs, une grande partie de la clientèle est constituée de touristes. Ainsi, 70 à 80 % des acheteurs d’Opera Gallery sont étrangers – contre 30 % pour Bartoux. 

À rebours du discours de ses confrères, Stéphane Corréard, fondateur du salon Galeristes, insiste sur le rôle vertueux de ces enseignes. « On tient à l’écart ces galeries, caractérisées par leur absence totale de snobisme, car elles n’ont pas les codes. Mais elles sont plus douées que les autres pour initier et former de nouveaux collectionneurs. On ne nait pas collectionneur on le devient ! ». Et le galeriste de dresser un parallèle avec le cinéma : un néophyte peut bien commencer par voir des blockbusters, puis s’intéresser à Woody Allen pour finir avec Bergman. « Une plus grande porosité avec leurs confrères serait profitable, elles ont un vrai rôle à jouer », conclut-il. 

L'e-commerce en relais

Pour ces acteurs, l’un des points critiques depuis que sévit l’épidémie de COVID-19, est qu’en sus de la crise économique, la circulation des voyageurs s’est réduite à peau de chagrin. Le Comité régional du tourisme de Paris Île-de-France a ainsi observé au cours du premier semestre 2020 une chute de près de 60 % du nombre de touristes internationaux par rapport à 2019. À l’heure actuelle, de nombreux palaces comme le Park Hyatt, le Shangri-La ou le Peninsula ont encore portes closes. « Nous souffrons beaucoup de la fermeture des frontières », concède Fatiha Amer. Dans les diverses enseignes d’Opera Gallery, une partie des employés est en chômage partiel, l’autre en télétravail. Mais les loyers des avenues huppées où sont localisés les espaces sont exorbitants. « C’est un poste terrifiant, et une grande source de stress. Dans toutes nos galeries autour du monde, les bailleurs ont fait un effort, sauf à Paris », regrette la galeriste. Contrairement au premier confinement, la galerie parisienne continue d’effectuer des ventes, mais observe une baisse d’activité de 60 %.

De son côté, le réseau Carré d’artistes a pu compter sur des bailleurs plus conciliants et ses directeurs se veulent optimistes. « Nous avons la chance de pouvoir nous reposer à la fois sur notre réseau mondial et sur notre plateforme e-commerce. Nous y avons beaucoup investi, et nous observons qu’elle a bien pris le relais des galeries physiques », constate Christelle Olivi. Elle ajoute de façon significative : « Nous bénéficions du fait que, étant donné que les clients passent beaucoup de temps chez eux, ils ont envie de revoir la déco. » Pour la galerie Bartoux, le salut vient également du web, grâce auquel la baisse du chiffre d’affaires est modérée. « Dès le début du premier confinement nous avons basculé nos vernissages et expositions en virtuel. Nos clients achètent via cette galerie d’art en ligne. En mars dernier, avec deux vernissages en ligne nous avons réalisé presque 2 millions d'euros de chiffre d’affaires », se réjouit Laura Bartoux. Un sursaut à noter dans un paysage globalement sinistré.

Tony Cragg, Chain of Events, 2007, bois sur base en métal, 290 x 105 x 105 cm. Opera Gallery, Paris.
Tony Cragg, Chain of Events, 2007, bois sur base en métal, 290 x 105 x 105 cm. Opera Gallery, Paris.
Courtesy Opera Gallery, Paris.
La galerie Carré d'artistes sur l'Ile Saint Louis, Paris.
La galerie Carré d'artistes sur l'Ile Saint Louis, Paris.
Courtesy Carré d'artistes.
La galerie Bartoux - Matignon, Paris.
La galerie Bartoux - Matignon, Paris.
© Galeries Bartoux.
La façade d'Opera Gallery avec des œuvres de Manolo Valdés et Bernar Venet.
La façade d'Opera Gallery avec des œuvres de Manolo Valdés et Bernar Venet.
Courtesy Opera Gallery, Paris.

Article issu de l'édition N°2055