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Le Centre Pompidou Shanghai doit encore faire ses preuves

Le Centre Pompidou Shanghai doit encore faire ses preuves
Centre Pompidou x West Bund Museum Project, Shanghai.
Courtesy Centre Pompidou.

En 2019, le Centre Pompidou inaugurait son antenne à Shanghai, en partenariat avec la société d’aménagement publique chinoise West Bund Development Group. État des lieux un an après, alors que les abus de pouvoir se multiplient dans la Chine de Xi Jinping.

Le 12 novembre ouvre au Centre Pompidou Shanghai une exposition baptisée « Design et merveilleux », autour d’une centaine d’objets et de meubles, de Ron Arad à Patrick Jouin en passant par Andrea Branzi. Sujet soft s’il en est, qui échappe forcément à la censure qui avait frappé trois œuvres de l’accrochage inaugural de cette excroissance de l’institution parisienne, née d’un partenariat de cinq ans avec l’aménageur public West Bund Development project. « Ce n’est pas une exposition stérilisée », défend Bernard Blistène, directeur du musée national d’art moderne, qui prépare par ailleurs pour 2021 un parcours autour de la question de l’objet. Et d’ajouter : « Il ne s’agit pas de choquer, mais de montrer des œuvres que les gens n’ont pas vues en Chine. » 

Ne pas choquer, tel était le mot d’ordre d’Emmanuel Macron, lors de l’inauguration de cette excroissance du Centre Pompidou le 5 novembre 2019. Ne pas offenser l’hôte chinois, telle était toujours sa ligne en septembre dernier. Quoiqu’acculé à condamner « avec la plus grande fermeté » la politique d’internement massif mise en œuvre dans le Xinjiang chinois à l’encontre des minorités ouïgours, Emmanuel Macron a prôné à nouveau « la diplomatie efficace et amicale », plus fructueuse selon lui que celle de « l’hygiaphone ou de la provocation ». 

En substance, l’Élysée laisse à chaque opérateur tricolore le soin de délimiter sa propre stratégie en Chine, jonglant ainsi entre compromis et compromission. N’allez pas dire à Serge Lasvignes qu’il compromet les valeurs de la France en persévérant dans l’empire sous haute surveillance du président Xi Jinping. « Notre présence est précisément utile aujourd’hui », veut croire le président de Beaubourg. Et ce n’est pas l’argent qui précisément le guide, le contrat signé avec l’aménageur chinois ne rapportant que 13,75 millions d’euros. Dérisoire face aux 30 milliards d’euros qu’a généré en 2019 la commande de 300 appareils Airbus par la Chine. Robert Lacombe, ancien conseiller culturel à Shanghai, juge ce partenariat d’autant plus utile qu’il offre à Beaubourg « un capteur précieux de la vie artistique chinoise ». Fin connaisseur de la Chine et président de Reporters sans frontières, le journaliste Pierre Haski le dit sans détour : « On ne peut pas participer à l’étouffement de la société civile pour lesquelles toutes les bouffées d’oxygène sont bonnes à prendre », estime-t-il. Même s’il faut, pour cela, « naviguer entre les contradictions ».

Perplexité

Pour l’heure, le Centre Pompidou Shanghai a surtout dû gérer les effets d’une pandémie qui s’est d’abord déclenchée en Chine avant de se propager dans le reste du monde. Aussi la fréquentation – obérée par trois mois de confinement – reste-t-elle modeste, de l’ordre de 370 000 visiteurs sur toute l’année, soit autant qu’une exposition à succès de quelques mois au centre d’art UCCA. Difficile, de fait, de jauger la place de cette institution sur l’échiquier culturel local. Pour Philip Tinari, directeur du centre d’art de l’UCCA à Pékin, « les Chinois sont heureux qu’un tel lieu existe car il n’y a pas d’autre endroit où aller pour voir de manière permanente de l’art moderne et contemporain ».

Pour autant, l’excroissance chinoise de Beaubourg n’a pas fait ses preuves. Un observateur local critique ainsi « un nom presque invisible, des expositions inaugurales plutôt timides avec une scénographie maladroite ». La journaliste Lisa Movius, basée en Chine, est encore plus acerbe : « Comme les expositions sont importées de France, et qu’ils n’ont pas vraiment expliqué ce qu’étaient leurs plans, le monde de l’art de Shanghai est perplexe devant ce projet. » Aussi, considère-t-elle cet espace comme « quelque chose d’étranger, qui est à Shanghai mais qui n’en fait pas partie ». Premier directeur de l’UCCA et grand connaisseur de la Chine, le curateur Jérôme Sans se veut plus nuancé, plaidant une « année blanche ». « La scène chinoise est en attente. Pour l’instant tout le monde apprend à se connaître », tempère-t-il. Cette année hors norme a d’ailleurs permis aux équipes chinoises de se former en accéléré et d’assurer seules, sans la présence de conservateurs français – qui ont tout de même piloté en visio depuis Paris –, le montage de la nouvelle exposition. Pour Serge Lasvignes, il faut laisser du temps au temps : « Dans cinq ans, on verra si ce qu’on a fait était utile. »

Jérôme Sans.
Jérôme Sans.
© Janarbek Amankulov/Saparlas/CC-BY-SA 4.0.
Bernard Blistène.
Bernard Blistène.
Photo Philippe Migeat/Centre Pompidou.
Serge Lasvignes.
Serge Lasvignes.



Photo Thibaut Chapotot/Centre Pompidou.

Vue de l'exposition « The Shape of time », West Bund Museum, Shanghai.
Vue de l'exposition « The Shape of time », West Bund Museum, Shanghai.
© West Bund Museum.

Article issu de l'édition N°2046