Pop-up, project-space, accrochage-salon, temps partagé façon La maison de Rendez-vous à Bruxelles. Depuis longtemps, les galeries se creusent les méninges pour trouver une alternative au lieu – et charges! – fixe(s). La crise liée au Covid-19 et les mois de confinement, qui les ont contraintes à payer d’importants loyers sans pouvoir ouvrir boutique, a ravivé cette question lancinante : faut-il renoncer à l’espace de la galerie ? Caroline Smulders en est convaincue. « On devra se montrer plus souple que jamais », estime-t-elle. L’exposition du sculpteur autrichien Stephan Balkenhol, dont elle est la commissaire au Palais d’Iéna, a certes été financée par une galerie puissante qui a pignon sur rue, Thaddaeus Ropac. « Mais ce que j’apporte, précise Caroline Smulders, c’est l’idée initiale et mon engagement à temps complet dans ce projet pour le mener à bien, ce qu’une galerie qui doit gérer le quotidien ne peut pas faire. » « On peut s’en sortir sans espaces, d’autant que sans repères, on peut être créatif », veut croire Aline Vidal, qui vient d’achever la troisième édition de ses De(s)rives, expositions organisées dans des lieux inhabituels – cette fois le remorqueur Archimède amarré près de la Bastille. Pour Eva Taïeb, fondatrice de la galerie en ligne The Fibery, spécialisée dans les oeuvres textiles, l’idée n’est pas tant « de faire des économies que de changer de stratégie économique ».
Être le plus agile possible
C’est armée des mêmes intentions que Charlotte Ketabi, ancienne de la galerie Nathalie Obadia, a lancé en juillet Ketabi Projects. Cette structure nomade compte présenter dans des lieux à chaque fois différents de jeunes artistes émergents comme Inès Longevial, dont elle orchestre la première exposition du 1er au 10 décembre aux Grandes Serres à Pantin, ainsi que des accrochages plus mixtes mêlant art contemporain et ancien. « Cela n’a pas de sens de louer un espace permanent dans le centre de Paris pour montrer des jeunes artistes pas encore assez chers pour que la location de l’espace soit rentable », observe la jeune pragmatique qui espère « réduire les frais d’au moins 30 % par rapport à une galerie classique, émergente, qui n’a qu’un ou deux salariés mais un loyer dans le centre de Paris à payer tous les mois ». En se libérant de toute attache, Charlotte Ketabi se veut surtout « le plus agile possible » pour monter des expositions « quand je le veux et où je le veux ». Et, pourquoi pas aux États-Unis, en Chine ou dans le Moyen-Orient dès que tels déplacements seront envisageables. Ces chevaux-légers ressentent d’autant moins l’impératif d’une vitrine que les foires, longtemps rétives, leur déroulent désormais le tapis rouge. Caroline Smulders a ainsi exposé en septembre sur Art Paris et précédemment à Drawing Now, tandis que Galeristes accueille jusqu’à dimanche the Fibery. « Pendant le confinement, les galeries ont été fermées au public et leurs expositions annulées ou invisibles. Ont-elles pour autant cessé d’être des galeries ? Non, rappelle d’ailleurs Stéphane Corréard, patron de Galeristes. Ce qui leur paraissait parfois inenvisageable est devenu une nécessité, voire une évidence : faire vivre leurs liens avec leur communauté autrement qu’à travers leurs espaces physiques. » Pour Guillaume Piens, directeur d’Art Paris, « il faut rester ouvert d’autant qu’on voit l’émergence de nouveaux modèles de galerie, qui fonctionnent comme des bureaux de production, une évolution qu’on ne peut pas nier. »
« Une vitrine permanente est rassurante »
Reste que l’absence d’adresse fixe a ses limites. La courte durée des expositions et leur rythme discontinu réfrènent parfois les collectionneurs. Pas simple non plus de s’assurer l’exclusivité d’artistes qui aspirent à davantage de stabilité. D’anciens galeristes nomades ont d’ailleurs choisi de se sédentariser, tel Arnaud Faure Beaulieu, ancré dans un bureau et un espace à Paris, ou Sans titre (2016), qui, après avoir été nomades les trois premières années de son existence, a pris pied rue du Faubourg Saint Martin, dans le 10ème arrondissement. Charlotte Ketabi, qui finalise l’exposition d’Inès Longevial, le reconnait, « une partie du travail doit se faire en amont pour faire venir les conservateurs, critiques d’art, journalistes et collectionneurs sur une courte durée ». Tout en admettant « qu’une vitrine permanente est rassurante et elle a certainement du sens pour les galeries installées depuis longtemps, dotées d’un réseau solide », Eva Taïeb n’en démord pas et conclut : « pour les jeunes galeries, la mobilité est bénéfique ».
À voir
ketabiprojects.art
thefibery-gallery.com
alinevidal.com
carolinesmulders.art