Geoffroy Ader tient sa revanche. Vingt-cinq ans que cet expert, issu d’une grande famille de commissaires-priseurs, suit le marché des montres de collections. Un quart de siècle qu’il s’échine à prouver à sa famille que les montres méritent autant d’attention que toute autre spécialité du marché. Aujourd’hui, le segment des montres de collection est l’un des rares à résister à la crise. Quand le volume des œuvres d’art dispersées aux enchères a sévèrement décroché – de 49 % selon ArtTactic –, celui des garde-temps ne cesse de croître. « Les montres sont devenues des valeurs sûres », se réjouit Geoffroy Ader. La preuve en chiffres : le prix moyen des montres dans les ventes rituelles d’Artcurial à Monaco est passé de 15 000 euros en 2019 à 40 000 euros en juillet dernier. Sotheby’s a récolté 49 millions de dollars en 69 ventes de montres et attiré pas moins de 40 % de nouveaux acheteurs. Chez Christie’s, on affiche jusqu’à 50 à 60 % de nouveaux clients à chaque vente de montres, contre 25 à 30 % pour celles de bijoux. « La force de ce secteur, c’est que les collectionneurs se comptent dans toutes les générations, même si les enchérisseurs rajeunissent – 40 % ont moins de 40 ans – et viennent de tous les pays – pas moins de 80 dans le monde ! », détaille Sam Hines, directeur du département montres chez Sotheby’s.
Surtout, ces acheteurs veulent continuellement parfaire leur collection. « Plus que dans les autres catégories du marché, les collectionneurs de montres vendent et achètent en permanence, ce qui génère un flux régulier d’objets », précise Aline Sylla Walbaum, directrice générale chez Christie’s. Au point que Sotheby’s organise désormais une vente hebdomadaire en ligne tandis qu’Antiquorum, qui orchestrait jusque-là quatre ventes annuelles à Genève et Hong Kong a pris un pli mensuel. Au Crédit municipal, aussi, les ventes judiciaires de montres connaissent un boom, qu’expliquent notamment des frais acheteurs plus bas, à 14,4 % contre 25-30 % ailleurs.
Symbole de richesse
Comment expliquer cette effervescence alors que le Covid-19 a chamboulé notre notion du temps, fait valser les agendas et bousculé nos rythmes de vie ? « La montre reste un symbole statutaire », avance Aline Sylla Walbaum. « C’est un signe extérieur de richesse, mais discret, un objet de qualité plutôt que de luxe », ajoute Nicolas Chwat, responsable des ventes au Crédit municipal. C’est aussi un bien tangible, plus facilement transportable en cas de départ précipité. Mais, prévient Geoffroy Ader, « à moins de 20 000 euros, il est difficile de trouver de belles montres ». Oubliez les garde-temps non griffés et les spécimens d’occasion – à moins de dix ans une montre ne peut prétendre au statut d’objet de collection. La demande reste néanmoins forte dans la gamme intermédiaire. « Il y a un très gros potentiel d’acheteurs dans le monde entier dans une gamme entre 3 000 et 15 000 euros », observe Romain Réa, directeur d’Antiquorum qui a élargi le spectre des objets proposés pour satisfaire cette nouvelle clientèle. Petits ou gros collectionneurs affichent d’ailleurs les mêmes critères : des aiguilles d’origine, un boîtier pas ou peu rayé, un mécanisme impeccable et, idéalement, l’écrin d’origine.
Trois griffes, Rolex, Audemars Piguet et Patek Philippe, dont le design intemporel survit aux modes, se taillent la part du lion, suivies par quelques marques indépendantes comme Laurent Ferrier, Richard Mille ou François Paul Journe. Patek Philippe détient la palme de la montre la plus chère pour sa Supercomplication, une montre de poche réalisée en 1933 pour le banquier américain Henry Graves. En 1999, elle est achetée pour 11 millions de dollars par le cheikh qatari Saoud Al-Thani, qui la revend 15 ans plus tard au double, pour 24 millions de dollars chez Sotheby’s.
C’est toutefois Rolex, une marque suisse créée en Angleterre par un Allemand, qui tient le haut du pavé. En juillet dernier, Sotheby’s a ainsi cédé en ligne pour 1,2 million de livres sterling une montre bracelet Rolex datant de 1969. Le 28 juin, Antiquorum a vendu pour 600 000 francs suisses, au double de son estimation, une Rolex Chronograph de 1955 en parfait état. Le même jour, elle a cédé pour 524 000 francs suisses une Rolex modèle Comex. Plus que tout autre modèle, la Daytona a connu les plus spectaculaires embardées. « Une Daytona vaut 150 000 euros aujourd’hui, contre 10 000 francs voilà dix ans », remarque Geoffroy Ader. Une Rolex Daytona modèle Paul Newman, qui valait 50 000 euros en 2000, s’échange désormais autour de 170 000 euros. Étonnamment, l’emballement gagne aussi les Rolex standard, « en raison du délai d’attente en boutique », précise Rémi Guillemin, spécialiste chez Christie’s. En septembre, une Rolex Daytona Cosmograph estimée 5 000 euros s’est ainsi adjugée pour 17 000 euros au Crédit municipal.