La seule idée fait frémir et on attribuerait plutôt la pratique aux nazis (qui y ont eu recours, stade suprême de leur barbarie) ou aux maniaques pervers, comme le comte de Conversano, cité par Malaparte dans Kaputt, qui avait couvert ses fauteuils de la peau de ses ennemis. Mais elle a aussi attiré des bibliophiles moins sanguinaires, qui se fournissaient auprès des morgues : la reliure en peau humaine remonterait au XVIe siècle. Cette « bibliopégie anthropodermique » a suscité quelques productions étonnantes : l’Athenæum de Boston conserve la Vie [du criminel] James Allen, alias George Walton (Boston, 1837), reliée à sa demande avec son propre épiderme pour être donnée à la famille de sa dernière victime... La discipline fait une rare apparition aux enchères à Drouot avec un ouvrage dont l’intérieur duplique l’aspect subversif de l’extérieur : il s’agit de la Philosophie dans le boudoir de Sade, très révolutionnaire traité d’éducation. Imprimé en 1795, ce « petit in-12 en pleine peau terre de Sienne, avec large dentelle aux petits fers autour des plats », comme dit la terminologie savante, a été relié par les frères Lortic, à qui l’on attribue deux autres ouvrages du même genre, dont l’un est conservé à la Wellcome Library à Londres. Celui-ci, estimé entre 40 000 et 60 000 euros, a une provenance mystérieuse : ses différents propriétaires ont fait disparaître leurs traces et l’on ne connaît pas davantage l’identité du malheureux (ou malheureuse) qui a fourni la matière première…
« Curiosa », mardi 6 octobre à Drouot (chez Marie Saint-Germain).
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