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Restitutions : la belle longueur d'avance de l'Allemagne

Restitutions : la belle longueur d'avance de l'Allemagne
Theresia Bauer, ministre des Sciences, de la Recherche et de l'Art du Bade-Wurtemberg, présente la Bible de famille et le fouet du chef Nama et héros national namibien Hendrik Witbooi au président de Namibie, Hage Gottfried Geingob, le 28 février 2019.
© Shawn van Eeden / Courtesy Linden-Museum, Stuttgart.

L’organisme s’appelle « Anlaufstelle für Kolonialobjekte » (point de contact pour les objets coloniaux ) – une structure considérée par beaucoup comme plus que nécessaire. Inaugurée début août, elle vise à simplifier la recherche d'objets issus des territoires soumis à l’expansion coloniale allemande à diverses époques. Son objectif est de servir d'intermédiaire entre le gouvernement et les États fédéraux d’une part, et les États africains d’autre part, pour établir des contacts et créer une base de données permettant de savoir où se trouve telle ou telle collection. « L'Allemagne fait de gros efforts pour accepter son passé colonial, a déclaré Monika Grütters, ministre d’État pour la Culture et les Médias. Nous assumons de manière intensive et responsable notre responsabilité historique. » 

Ce « point de contact » a été salué comme une importante condition préalable à un dialogue de partenariat entre l’Allemagne et les pays africains. « Cela prouve la détermination de tous ceux qui sont impliqués à accepter l'histoire coloniale allemande dans le cadre de notre culture de mémoire », a déclaré Markus Hilgert, le directeur de cette structure et secrétaire général de la Kulturstiftung der Länder (Fondation culturelle des États fédéraux). Le gouvernement fédéral et les États supportent chacun la moitié des coûts, soit environ 400 000 euros par an pour une période initiale de trois ans.  

Prendre ses responsabilités

Depuis le rapport des universitaires Felwine Sarr et Bénédicte Savoy publié en France en novembre 2018, préconisant le retour en Afrique des objets issus des contextes coloniaux, l’Allemagne enchaîne des initiatives ambitieuses, contrairement à la France qui semble piétiner et où le statu quo a poussé cinq individus à une action spectaculaire mi-juin : ils ont emporté du musée du Quai Branly-Jacques Chirac un poteau funéraire Bari du XIXe siècle provenant du Tchad en clamant « Ces biens nous ont été volés sous la colonisation… Ça nous a été pris sans notre consentement, donc je rentre à la maison ! » 

Selon Felwine Sarr, l’Allemagne est devenue un des pays les plus progressistes d’Europe parce que des politiciens et des responsables de musées se sont prononcés sans polémiquer en faveur d’un retour des objets d’art dans leur pays d’origine. Dans une interview accordée à l’hebdomadaire Die Zeit, l'économiste sénégalais cite le Rautenstrauch-Joest-Museum à Cologne ou le Lindenmuseum à Stuttgart, dans le sud de l’Allemagne, parmi les musées qui ont décidé de ces restitutions. Le Lindenmuseum a par exemple retourné un fouet et une Bible en Namibie. Les deux objets appartenaient autrefois à Hendrik Witbooi, un des chefs Nama qui a dirigé le soulèvement de son peuple contre les occupants allemands entre 1893 et 1896. Witbooi est aujourd'hui vénéré comme un héros national. Les deux objets étaient conservés dans ce musée depuis plus de cent ans. Cette restitution été la première effectuée par le Land du Bade-Wurtemberg.

Dans cette discussion sur la manière de traiter les objets coloniaux, le Bade-Wurtemberg veut jouer un rôle de pionnier et rendre disponibles des données sur des milliers d'œuvres via une collection en ligne. La ministre de la Science, de la Recherche et de la Culture de cet État fédéral ne veut pas attendre l’arrivée d’une prochaine demande. « Nous devons faire face à notre responsabilité et faire en sorte de savoir ce que contiennent nos musées et comment ces objets y sont arrivés, a déclaré Theresia Bauer. Nous nous attaquons activement au problème. La prise de conscience grandit. Je pense que nous sommes parmi les plus avancés. » La base de données du Lindenmuseum devrait être accessible en ligne pour la recherche de provenance, appliquée progressivement à tous les objets de la collection.  

Selon Theresia Bauer, le retour de ces objets n'est pas « la fin d'un chapitre, c'est le début d'une nouvelle coopération ». Un des modèles de cette base de données est celui qui enregistre les biens culturels déplacés ou confisqués, en particulier aux propriétaires juifs, lors des persécutions du régime nazi pendant la Seconde Guerre mondiale. La Lost Art-Datenbank, créée en janvier 2015, répertorie des centaines d'œuvres conservées par le gouvernement fédéral. Elle est gérée par le Centre allemand de la perte des biens culturels (Deutsches Zentrum für Kulturgutverluste) à Magdebourg. Depuis janvier 2019, ce centre finance désormais aussi des projets relatifs à la recherche de provenance du patrimoine africain.

Linden-Museum Stuttgart
Linden-Museum Stuttgart
© Daderot / CC-BY-SA 1.0.
Theresia Bauer.
Theresia Bauer.
© Ministère de la Science, de la Recherche et de la Culture du Bade-Wurtemburg.
La fouet de Hendrik Witbooi, pillé par des soldats allemands lors de l'attaque du camp Nama à Hornkranz en 1893.
La fouet de Hendrik Witbooi, pillé par des soldats allemands lors de l'attaque du camp Nama à Hornkranz en 1893.


© Linden-Museum, Stuttgart / Photo Dominik Drasdow.

La Bible familiale de Hendrik Witbooi, pillée par des soldats allemands lors de l'attaque du camp Nama à Hornkranz en 1893.
La Bible familiale de Hendrik Witbooi, pillée par des soldats allemands lors de l'attaque du camp Nama à Hornkranz en 1893.


© Linden-Museum, Stuttgart / Photo Dominik Drasdow.

Article issu de l'édition N°2006