Tous les artistes contemporains sont conscients qu'ils travaillent après le déclin des grands récits et des grands mythes. Cependant, il est impossible de ne pas s'inscrire dans un récit, qu'il soit personnel ou familial, social, politique, microscopique ou à l'échelle du cosmos. L'art permet la mise en forme de ces récits et leur transmission. Les nouvelles prises de position de la scène contemporaine ces dernières années, que ce soit sur la place des femmes artistes ou celle que l'on donne enfin à un art décolonial, sont des récits neufs. Tous les horizons n'ont pas été explorés, et certains ont été volontairement bouchés par ceux qui écrivent l'histoire de l'art.
Si son médium est le dessin, il est difficile de l'y enfermer, puisqu'il n'hésite pas à le traiter de manière monumentale, à l'intégrer à des installations pour créer des espaces immersifs. Il se sent avant tout libre d'interagir avec les lieux où il intervient. Le temps est un allié d'Abdelkader Benchama : il lui donne la clé pour s'abandonner et accéder à une dimension abstraite où les mots n'ont pas encore donné forme aux idées, au-delà des référents géographiques et culturels. À l'encre de Chine ou au feutre, son univers artistique est le plus souvent en noir et blanc. S'il oscille entre l'infiniment petit et la dimension cosmique, son trait est une marque tangible de ce qui nous échappe. Ici, l'engramme, enregistrement biologique de la mémoire dans le cerveau.
Pour créer ses œuvres, Léa Belooussovitch pioche sur Internet et dans la presse des images d'événements dramatiques de notre histoire contemporaine (l’explosion d’un bus piégé en Somalie, une fusillade au Bangladesh...), qu'elle transpose en dessins flous. On peine à reconnaître le sujet, mais l'imagination entre en action pour essayer de comprendre et identifier ce qui sa cache derrière ces tâches colorées. Touchant à une esthétique de la disparition, les dessins réalisés aux feutres et ses vidéos interrogent notre rapport à la violence, si présente dans le flot d'images qui animent notre quotidien, mais pour lesquelles nous nous sommes immunisés progressivement, relevant ainsi notre seuil de tolérance à l'horreur. Séduire pour alerter.
Pour Art Paris, Elsa & Johanna présentent leur dernière série, Beyond the shadows (2018-2019), où elles sont, comme à l'accoutumée, à la fois scénaristes, réalisatrices et actrices. Depuis leur rencontre en 2014 à la School of Visual Arts de New York, qui a été l'étincelle, Elsa Parra (1991) et Johanna Benaïnous (1990) ont créé leur style et leur univers cinématographique, où elles incarnent des personnages renvoyant à d'autres territoires et d'autres époques, questionnant les notions d'identité, de couple et de genre. Si elles posent pour chaque cliché, on a l'impression de photos volées, saisissant la vie intérieure de leurs héroïnes inventées aux regards las d'une existence vide. Désabusées, elles sont plombées par un certain spleen.
Si depuis Le Caravage, le moment choisi pour représenter le mythe de Narcisse est bien souvent celui où le jeune homme à la beauté incroyable tombe amoureux de son propre reflet, Jérôme Borel attire notre attention sur son état émotionnel. Il dépeint « la confusion » du jeune chasseur, cet instant de basculement qui est aussi celui de sa propre perte, puisque la seule issue sera la suicide. « L'œuvre articule le côté grandiose et spectaculaire du format de 2 x 2 m et la contemporaneité du décentrage extrême du sujet dans le bas de l'œuvre, analyse Olivier Waltman. La peinture de Jérôme Borel se nourrit d'allusions, d'imaginaire et de métaphores : une plongée puissante et incantatoire dans le fond de l'œuvre, comme dans le très intime du spectateur. »
Martine Aballéa aime raconter des histoires, comme elle aime les histoires les plus folles, à l'image du mystère entourant la maison construite par Sarah Winchester en Californie et qui l'a marquée dans son enfance, passée aux États-Unis. Elle retravaille des images en y glissant des soupçons de ses récits, mais surtout où elle retouche entièrement les couleurs, en un dégradé de noirs et blancs ou en une explosion de couleurs fluos pour s'assurer le plus de distance possible avec le réel. Il en ressort une ambiguïté avec laquelle elle joue. Les titres des œuvres sont une part importante de la narration : L'avant-dernier mystère, Trois jours en ville, Bois normand... Elle fragmente son récit, disperse des indices, nous transporte dans ses contes contemporains.
Ces grands cercles bleus, abstraits de prime abord, représentent de grandes fermes circulaires aux disques parfaits. Si ce mode d'agriculture est censé respecter l'environnement, elles se détachent comme des hallucinations dans les grandes étendues désertiques de l'Arabie Saoudite, où elles consomment 88 % de l'eau du pays, à 98 % souterraine. Voilà qui illustre parfaitement la problématique de Caroline Le Méhauté, qui décortique avec attention le rapport de l'Homme à son environnement. À Art Paris, elle mettra en scène cette problématique avec Négociation 34 - Porter surface, une installation « phare qui n'a jamais été montrée en foire, où un châssis de bois recouvert de fibres de coco est suspendu au plafond, surplombant ces tirages uniques au cyanotype, intitulés Graphein », détaille Hélianthe Bourdeaux-Maurin.