« Si le monde est un lieu sombre, le Liban en est l’épicentre. » Cette phrase débutait l’invitation à l’exposition « Remains of the Last Red Rose » d’Abed Al Kadiri à la galerie Tanit. L’artiste y exposait une œuvre « sombre et personnelle », ainsi qu’il la décrivait, exutoire à sa douleur alors qu’il se séparait de son épouse. Désormais, ces mots ont valeur prophétique : le 4 août, quelques jours seulement après l’inauguration, la moitié de la ville était dévastée par une double explosion dans un entrepôt du port de Beyrouth. En cause : un vieux stock de nitrate d’ammonium. Le bilan humain de la catastrophe fait état de près de 6500 blessés et 200 morts. Parmi eux, Gaia Fodoulian, la jeune directrice de la galerie Letitia à Hamra, qui avait mis la clef sous la porte en février dernier du fait de la situation économique que traversait le pays, et Firas Dahwish, l’un des « accrocheurs » les plus connus de la ville. Sévèrement blessé, le jeune homme est décédé cinq jours plus tard. Sans compter l’architecte français Jean-Marc Bonfils, blessé chez lui à Mar Mikhael, et qui a succombé à ses blessures quelques heures plus tard. « Il faut nous laisser encore un peu de temps pour faire notre deuil », témoigne Joumana Asseily, toujours choquée, qui avait ouvert en 2015 la galerie Marfa’, à deux pas de la zone des explosions.
Si le choc est si important pour la communauté artistique, c’est qu’il met son existence en jeu. « On est face à une menace existentielle », confirme Rima Mismar, du Fonds arabe pour les arts et la culture, plus connu sous son acronyme anglais AFAC. Les quartiers du port, de Gemmayzé et Mar Mikhael, parmi les plus impactés par les explosions, abritaient en effet quelque 200 ateliers d’artistes ou de designers, qui avaient profité de loyers anciens pour…