Capri c’est fini ? Pas sûr. Si tous les pays se préparent à la diète touristique, les galeries qui ont bourgeonné dans les lieux de villégiature espèrent toujours séduire une clientèle huppée qui a ses habitudes dans les resorts cossus de la Méditerranée et d’ailleurs. Avec un principe, qui jusqu’à présent s’était révélé payant : les collectionneurs ne sont jamais aussi prêts à ouvrir leur portefeuille que pendant leurs vacances. La galerie italienne Tornabuoni a flairé ce potentiel avant tout le monde. En 1993, elle a ouvert sa première bouture à Crans-Montana, dans le canton helvétique du Valais, avant de prendre pied en 2003 à Forte dei Marmi, en Toscane. Avec ses deux galeries saisonnières qui rapportent jusqu’à 20 % de son chiffre d’affaires annuel, elle touche une jet set internationale qui n'hésite pas à dépenser quelques millions d'euros avant (ou après) une virée en mer ou quelques descentes de ski.
Crise du Covid-19 oblige, les collectionneurs appartenant à la tranche d’âge « à risque » sont désormais invités à s’évader près de chez eux – voire chez eux. Aussi les puissantes galeries new-yorkaises Pace, Van de Veghe, Skarstedt, et prochainement Hauser & Wirth, se sont-elles démultipliées cet été dans les Hamptons, quartier d’été préféré des riches New-Yorkais, à 2h30 de Manhattan. Bien avant la pandémie, « sur un coup de tête », le Parisien Lucas Ratton avait ouvert en 2019 une annexe estivale à Saint-Tropez, non loin du beau domaine du Muy, où la galerie Mitterrand accueille ses collectionneurs l’été. Succès immédiat : une trentaine de ventes avec une clientèle « qu’on ne rencontre jamais à Paris ». Malgré les prévisions touristiques moroses, Lucas Ratton espère bien confirmer l’essai. « La clientèle haut de gamme sera là, les locations saisonnières ont été prises d’assaut, beaucoup d’Anglais qui ont leurs résidences secondaires dans la région ont décidé de se confiner ici », affirme le jeune marchand. « On n’aura pas les Russes ou les Américains, mais les Italiens et les Suisses », renchérit Michel Casamonti, patron de Tornabuoni, dont l’activité estivale repose habituellement à 30 % sur un tourisme de passage.
Le volubile marchand italien en est convaincu, « les gens ont envie de tourner la page, ils parlent cinq minutes du Covid-19 mais veulent après passer à autre chose ». Le galeriste invoque d’ailleurs une « reprise sérieuse du dialogue avec les collectionneurs », et, depuis le mois de mai, « des ventes au-delà des espérances ». Pour mettre toutes les chances de son côté, Michele Casamonti compte panacher les artistes plutôt que de prévoir des solo shows comme c’est le cas à Paris ou Londres. Spécialisé dans les arts classiques africains, Lucas Ratton a quant à lui élargi son éventail à l’art contemporain et au design, pour toucher un plus large public.
Valeurs sûres
Pas question en revanche de mégoter sur la qualité ni les prix. « Je n'ai pas l'intention de mettre des œuvres moins chères que d’habitude, observe Michele Casamonti. Au contraire, dans des périodes compliquées comme aujourd’hui il faut sortir des œuvres de qualité précisément parce que je ne compte pas sur la clientèle de passage mais sur les collectionneurs qui ont traversé plein de crises et savent qu’une bonne œuvre reste une valeur sûre. »
Renos Xippas a lui aussi traversé beaucoup de crises. Suffisamment pour savoir qu’il ne veut plus courir le monde ni les foires. En janvier dernier, dix ans après avoir ouvert une antenne à Montevideo, en Uruguay, le galeriste parisien a inauguré une galerie à Punta del Este, station balnéaire très prisée des riches Argentins et Brésiliens et enclave dorée pour quelques Européens retraités. Dans un ancien hangar reconverti entouré de six hectares de terrain où paissent vaches et moutons, Xippas organise régulièrement des apéro-vernissages, où « on passe des heures à discuter comme avant, avant la course folle ». Entre deux conversations, il lui arrive aussi de vendre, une quinzaine d’œuvres entre janvier et février. En mars, quand la planète arty était à l’arrêt, il a cédé une grande toile de Janaina Tschape.
La crise, Réjane Louin la connait aussi. Lorsqu’elle ouvre sa galerie en 2008 à Locquirec, pittoresque village du Finistère, tous les vents sont contraires. La ville compte 10 000 visiteurs l’été et se vide entièrement l’hiver. Dans les environs, les galeries se comptent sur les doigts d’une main : l’École des filles de Françoise Livinec, à Huelgoat, le Navire, à Brest, et Oniris, à Rennes. Pas de masse critique, pas de marché local. Pourtant la jeune femme résiste. Aujourd’hui, elle garde son optimisme, même si ses habituels clients américains ne seront pas au rendez-vous. Sa structure est légère, ses frais réduits. Pour Réjane Louin qui travaille au long cours à Locquirec, comme pour les enseignes saisonnières, l’investissement reste porteur. « En cinq mois de location d’un espace de 160 m2, je dépense autant qu’en cinq jours de salon », résume Lucas Ratton. CQFD.
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