C’est enfoncer une porte ouverte que de souligner les difficultés financières des galeries après le confinement, dans un climat d’affaires déjà maussade. D’après le Comité Professionnel des Galeries d’Art, le chiffre d’affaires de ses adhérents a baissé de 40 % au premier trimestre 2020 – qui ne comprend pourtant que 15 jours de crise sanitaire –, par rapport à l’an dernier. « « Alors que nous n’avons eu presque aucune rentrée d’argent pendant deux mois, il faut limiter les dépenses », énonce dans une logique implacable Éléonore Chatin, directrice de la galerie Catherine Putman. En parallèle du chômage partiel, se pose alors de façon aigüe la question des loyers des locaux pendant la fermeture. « Depuis le début de la crise, c’est la principale source de crispation de la part des galeries, , puisqu’il s’agit bien souvent d’un gros poste de dépense. Beaucoup d’entre elles nous ont contactés et nous sommes mobilisés sur la question », précise Gaëlle de Saint-Pierre, responsable juridique du CPGA. « Le problème est que la diversité des profils de bailleurs et des contrats de chacun ne permet pas de proposer une solution applicable à tous, mais au cas par cas ».
« Changer de locataire en pied d'immeuble est très coûteux »
Et effectivement, tous ne sont pas logés à la même enseigne. Il y a les (rares) galeries qui ont un contrat de bail avec l’une des grandes foncières – et de ce fait une situation avantageuse. Le 17 avril, les principales fédérations de bailleurs, la FSIF, l’AFG, l’ASPIM, le CNCC, et la Caisse des dépôts ont en effet appelé leurs adhérents à annuler trois mois de loyers pour les TPE contraintes de fermer pendant le confinement. À l’autre bout du spectre, il y a les galeries qui sont logées chez un bailleur social, et bénéficient de mesures très favorables. Ainsi, les Parisiens Paris Habitat, Elogie SIEMP et RIVP ont avalisé, lors de leurs conseils d’administration respectifs la première quinzaine de juin, l’exonération des loyers et de charges de leurs locataires du secteur culturel pendant six mois. Jusqu’à aujourd’hui, la bonne nouvelle n’a pourtant pas été annoncée aux galeries concernées. « En revenant à la galerie après le confinement, j’ai eu la très bonne surprise de trouver un courrier de mon bailleur Elogie SIEMP, m’indiquant qu’ils mettaient en suspens les factures pour l’instant, et que le paiement serait étudié au cas par cas par la suite », détaille Éléonore Chatin, qui économisera 20 000 euros. Également dans cette situation, Sultana, Praz-Delavallade, Marion Meyer, Anne Barrault, Schwab ou Sémiose, qui a été bien inspiré de changer d’espace pour s’établir dans l’ancienne galerie Agnès b. rue Quincampoix – l’inauguration est prévue cette semaine. Pourquoi un tel geste de la part des bailleurs sociaux parisiens ? « Nous sommes un acteur économique, mais aussi d’intérêt général, explique Valérie de Brem, directrice d’Elogie SIEMP. Nous avons une responsabilité à la fois à l’égard du secteur culturel et de la qualité de vie des habitants. Aussi, en concertation avec les autres bailleurs sociaux de la ville, nous avons décidé d’un effort massif. » Mais cette décision évaluée à 12 millions d’euros s’est aussi fondée sur des critères strictement économiques. « Changer de locataire en pied d’immeuble est très coûteux pour nous. Cela prend du temps de signer un nouveau bail, d’autant plus avec la crise, sans compter les travaux – en moyenne 25 000 euros. Et imaginons qu’il y ait une vague de faillites en pied d’immeuble, sur le moyen terme, c’est tout le quartier qui se dégrade », poursuit la directrice.
Reculer pour mieux sauter
Pour toutes les autres galeries, la majorité en réalité, il faut s’en remettre au bon vouloir des bailleurs. Seules les ordonnances du 25 et du 31 mars ont précisé que les entreprises éligibles au fonds de solidarité (ayant moins de 10 salariés et d’un million d’euros de chiffre d’affaires) pourraient bénéficier de la suspension du paiement de leur loyer pendant la fermeture administrative. Mais pour les galeries concernées, c’est reculer pour mieux sauter, car il faudra payer plus tard… Le gouvernement a également prévu une carotte pour les bailleurs : la loi de finances rectificative autorise ceux qui renonceraient aux loyers à ne pas les faire entrer dans l'assiette du revenu imposable, tout en déduisant la totalité des charges liées. Mais si les demandes amiables échouent, le droit commun permet-il aux galeries d’exiger un report ou une annulation de leurs échéances pour les mois de fermeture ? La question divise les juristes. Certains avocats avancent l’article 1218 du Code civil pour qualifier le Covid-19 de force majeure. D’autres se réfèrent à la notion d’imprévision, prévue à l’article 1195. D’autres encore invoquent l’exception d’inexécution, précisée par les articles 1219 et 1220. Si ces arguments sont alternativement évoqués par les galeries – mais aussi les commerces de façon générale, nul ne s’accorde sur leur bien-fondé. Dans la très grande majorité des cas, ces arguments ont d’ailleurs laissé de marbre les bailleurs des galeries. « J’ai proposé le report d’un mois de loyer ou l’échelonnement sur 10 mois, mais mon propriétaire n’a rien voulu entendre » confie Alain Huberty, qui a inauguré sa nouvelle adresse avenue de Matignon un mois avant le confinement. Même fin de non-recevoir pour Franck Prazan, qui explique : « Le bailleur de notre galerie de l’avenue Matignon n’a pas daigné répondre à notre courrier par lequel nous lui suggérions un partage équitable de la charge, à 50/50. » Même topo encore pour la galerie Berès et pour beaucoup d’autres qui souhaitent rester anonymes. Face à des conflits concernant les lieux de commerce qui s’enveniment, le gouvernement a nommé le 23 avril Jeanne-Marie Prost comme médiatrice entre bailleurs et locataires. Et le 3 juin, une charte édictant un cadre commun de négociation et des règles de bonne conduite a été rendue officielle – et signée par le CPGA et le Syndicat National des Antiquaires. D’après le CPGA qui s’est réuni le 17 juin à ce sujet, beaucoup d’accords sont en cours grâce à cet outil. Reste en dernier recours l’arbitrage ou les tribunaux.