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L'Arabie Saoudite met ses projets artistiques en pause

L'Arabie Saoudite met ses projets artistiques en pause
Dana Awartani, It Was Like A Dream..., 2017-2020, impression numérique sur papier d’art, 48,7 x 32,4 cm.
Courtesy Dana Awartani et Athr gallery, Jeddah.

Alors que les annonces tombaient en mars sur les annulations et les reports d'événements artistiques à travers le monde, un pays restait étrangement silencieux, un pays qui, pourtant, dominait jusqu’ici l’actualité politique du monde arabe : l'Arabie Saoudite. Après les expositions « 21, 39 Jeddah Arts » et « Desert X Al Ula », qui avaient accueilli en début d’année un nombre sans précédent de visiteurs étrangers, tous les observateurs du Golfe avaient les yeux rivés sur les ambitieux projets prévus à Riyad. Mais comment reporter des événements qui n’ont pas encore été annoncés ? L'Arabie Saoudite s’apprête à vivre des bouleversements provoqués par les restrictions sur les voyages internationaux et les mesures de distanciation sociale, mais aussi, ou surtout, par la chute des cours du pétrole, qui ont baissé de plus de moitié en deux ans (le baril valait 70 dollars en moyenne en 2018 contre 30 aujourd'hui). 

L'infrastructure existante a réagi à la crise de la manière attendue. Ithra, l'énorme complexe artistique de la province orientale, financé par la compagnie pétrolière Aramco, a mis ses programmes en ligne et accéléré le développement des projets numériques qui étaient en préparation. Athr, la plus importante galerie d'art du pays, a lancé l'initiative « Ma'an » pour soutenir les artistes émergents. L'exposition annuelle « 21, 39 » a confirmé qu'elle se prolongerait jusqu’en janvier, bien que probablement dans une version allégée. Quant au ministère de la Culture, il a initié des programmes en ligne qui poursuivent le rythme effréné de la modernisation du pays, comme cette soirée cinéma en soutien aux producteurs locaux ou ce concours de recherche d'acteurs pour le nouveau théâtre national. 

Une pause bienvenue

« La machine a ralenti, affirme un professionnel des arts à Djeddah, mais elle continue de tourner. » L’an prochain, l'accent sera mis sur le tourisme intérieur, mais, selon la plupart des sources, le pays reprendra son développement du secteur artistique, qui est tout à la fois un bon moyen de diversifier son économie et d’améliorer son image internationale. Selon la Commission royale pour Al Ula, l’exposition « X Al Ula » (dont le site devrait rouvrir en octobre) a accueilli 9 000 visiteurs au cours de ses cinq semaines d'existence. Ce chiffre englobe les visiteurs nationaux, mais il reste impressionnant pour un pays qui n'a introduit les visas étrangers qu'en septembre dernier.  

« La Commission royale pour Al Ula est la deuxième commission royale jamais créée dans l’histoire du gouvernement saoudien », m'expliquait en mars son directeur général, Amr Al Madani. La première, en 1975, était axée sur l'industrie pétrochimique et l'économie ; la seconde concerne le réaménagement du site du désert. Le projet est bien avancé, grâce à une collaboration intergouvernementale entre la France et l'Arabie saoudite qui remonte à avril 2018. L'Agence française pour le développement d'Al Ula – l’Afalula –, s'appuie sur l'expertise acquise par la France dans le Golfe ; certains de ses agents connaissent bien le Louvre Abu Dhabi ou ont d’autres fonctions dans les
Émirats arabes unis. Le projet, qui devrait être achevé en 2023, comprendra des hôtels, des activités de loisirs et huit musées, dont le Wadi Al Fann, ou Vallée des arts, site permanent d'œuvres d'art en plein air.

La pause imposée aux activités artistiques est difficile à nier, mais elle n'est pas tout à fait malvenue. Le rythme et l'ampleur des projets saoudiens étaient insoutenables, comme beaucoup l'admettent en privé. Les expositions étaient montées en quelques semaines seulement, au lieu de quelques mois normalement ; les plans prévoyaient la présence de curateurs saoudiens dans un pays qui en compte très peu ; et les consultants extérieurs, comme Kearney, Deloitte et PWC, étaient souvent engagés dans des domaines qui ne relevaient pas vraiment de leur spécialité. 

Réserves

La crise mondiale risque de faire sentir subtilement ses effets sur le monde de l'art saoudien : malgré l'investissement indispensable consenti dans l'enseignement artistique, les jeunes pourraient être dissuadés d'étudier les disciplines artistiques s'ils ne sont pas certains de trouver un emploi à la clé. Surtout si le ministère de la Culture, qui emploie un certain nombre d'artistes, est contraint de procéder à des licenciements et que les annulations d’expositions se poursuivent dans le monde entier. Les programmes internationaux de sensibilisation, bien qu'ils n'aient jamais été un pilier de la politique saoudienne, pourraient être réduits à la portion congrue, le pays s'efforçant de toucher d’abord ses citoyens en proposant des emplois et des événements. Une question clé est de savoir quels programmes – essentiellement dans le domaine du tourisme ou des infrastructures –, les Saoudiens choisiront de privilégier dans ces circonstances difficiles, mais on s’accorde généralement à dire que la dynamique naissante ne s’interrompra pas. 

« L'Arabie saoudite dispose d'un filet de sécurité que les autres pays n’ont pas – en dehors de ceux du Golfe, déclare Kate Seelye, vice-présidente pour les arts et la culture au Middle East Institute à Washington. Ils ont encore des réserves, et le prix du pétrole va probablement remonter dans quatre ou cinq ans. Les choses seront peut-être retardées, mais je ne pense pas que la situation actuelle portera un coup fatal à la scène artistique saoudienne. »

Rashed AlShashai, A Concise Passage, vue d’installation à Desert X AlUla.
Rashed AlShashai, A Concise Passage, vue d’installation à Desert X AlUla.
Photo Lance Gerber/Couresty Rashed AlShashai et Desert X AlUla.
Rayyane Tabet, Steel Rings, de la série The Shortest Distance Between Two Points, vue d’installation à Desert X AlUla.
Rayyane Tabet, Steel Rings, de la série The Shortest Distance Between Two Points, vue d’installation à Desert X AlUla.
Photo Lance Gerber/Courtesy Rayyane Tabet, Sfeir-Semler Gallery Beirut,Hamburg et Desert X AlUla.
Superflex, One Two Three Swing!, vue d’installation à Desert X AlUla.
Superflex, One Two Three Swing!, vue d’installation à Desert X AlUla.
Photo Lance Gerber/Courtesy Superflex et Desert X AlUla.
Le King Abdulaziz Center for World Culture (Ithra), Dhahran.
Le King Abdulaziz Center for World Culture (Ithra), Dhahran.
© Snøhetta.

Article issu de l'édition N°1962