Les images ont marqué les esprits et fait grincer quelques dents : le 17 mars, un million de Franciliens ont pris le large, pour vivre la période de confinement dans leurs maisons de campagne ou auprès de leur famille demeurant en province. Quoique dicté par l’exiguïté des appartements parisiens, cet exode reflète un désir plus profond de mobilité régionale, exprimé par 8 cadres sur 10, d’après un sondage de Cadremploi publié en 2019. Cette nouvelle ruée vers la province profitera-t-elle à terme aux galeries en région ?
Certains veulent y croire, à l’instar de Claire Gastaud, qui réalise 40 % de son chiffre d’affaires en Auvergne. Et d’assurer : « Demain, les gens voudront vivre à Rennes, Nantes ou Clermont-Ferrand. » Catherine Derioz, co-fondatrice de la galerie le Réverbère, a déjà ressenti les bénéfices de l’arrivée sur Lyon depuis deux ans de jeunes cadres parisiens dont certains sont devenus ses clients. Mais, nuance-t-elle, « cette génération est celle qui souffre le plus de la crise actuelle ». Sa consœur Catherine Issert, qui a vu son chiffre d’affaires chuter de 85 % en avril, est plus circonspecte. « On ne va pas dans une galerie parce qu’elle est à côté de chez soi, mais parce qu’on la trouve intéressante », confie cette femme de tête, qui fête ses 45 ans d’activité à Saint-Paul-de-Vence. Plus que jamais, toutefois, elle mise sur ses fidèles collectionneurs qui migrent vers le Sud aux premiers jours de l’été. « Les gens ont besoin de sur-mesure, d’un traitement à la carte, mais aussi d’art de vivre et de quiétude », constate-t-elle, utilisant presque malgré elle le vocabulaire de la proximité. Longtemps Hervé Bize a préféré regarder au loin, du côté de l’Amérique, où se trouvent 90 % de ses clients. Mais la crise du Covid-19 a terrassé Oncle Sam. Aujourd’hui, le galeriste nancéien n’a d’autre choix que de « relancer ses contacts avec les institutions françaises et se recentrer sur le local ».
D’autant que les solidarités en région semblent vives quoi discrètes. Pour éviter à Claire Gastaud une trop lourde charge, alors que le Covid-19 a mis à plat la trésorerie des galeries, le Frac Auvergne a décidé de prendre intégralement en charge le financement du catalogue de l’un de ses artistes, Jean-Charles Eustache. Catherine Derioz, qui compte un tiers de collectionneurs locaux, a pu compter sur la générosité d’un couple de Lyonnais qui lui octroie chaque mois une avance sur des achats futurs. Un autre amateur du cru a convaincu sa compagne de lui acheter des photos de William Klein et Bernard Plossu pour son anniversaire fêté durant le confinement.
Jacobinisme
Directeur de la galerie Oniris, Florent Paumelle aurait volontiers misé sur le local. Mais il n’a souvent rencontré les amateurs bretons qu’à la faveur de foires à Paris. « Beaucoup de nos collectionneurs n’ont jamais mis les pieds à la galerie », confie-t-il. Quant aux bénéfices de la transhumance culturelle estivale, ils risquent selon lui d’être réduits suite au report de l’exposition rituelle de la collection Pinault au Couvent des Jacobins. « Si les gens nous mettent sur leur feuille de route tant mieux, mais on restera sur des relations occasionnelles, liées aux vacances », estime-t-il, jugeant le « jacobinisme français plus renforcé que jamais ». Aussi, à peine le Premier ministre Édouard Philippe a-t-il autorisé les déplacements au-delà de 100 kilomètres que le galeriste a repris le chemin de la capitale, où il dispose d’un bureau.
Car les collectionneurs, directeurs de musées et journalistes peinent encore à franchir le périphérique. Alors les imaginer emprunter nationales et départementales... « Galeriste en région ça reste compliqué et galeriste en région sans foire, ça l’est encore plus », reconnaît Claire Gastaud, qui comptait sur trois salons annulés du printemps (Art Paris Art Fair, Drawing Now, Art Brussels) pour réaliser 35 % de son chiffre d’affaires annuel.
De fait, au fil des ans, plusieurs galeries ont baissé le rideau, à l’image de Thomas Bernard, qui a fermé en 2015 son site bordelais pour se concentrer sur Paris, Gourvennec Ogor à Marseille ou Sollertis à Toulouse. Dernière fermeture en date, celle des Lyonnais Anne-Marie et Roland Pallade qui ont fait leurs adieux le 23 mai après 13 ans d’activité. Mais, petite note optimiste, leur espace a été repris par une nouvelle enseigne, Nö r Ka, fondée par Caroline Capelle Tourn.