#lestalentssengagent, #artforbetter, #urgenceartistique... De nouveaux hashtags ont fleuri en ce printemps chamboulé par la pandémie. Quoique confiné, le monde de l’art multiplie les initiatives pour soulager les soignantes, encourager la recherche et soutenir les artistes. Fin mars, les deux plasticiennes Marie Hazard et Audrey Guttman lançaient #urgenceartistique. L’idée était simple : les artistes qui le souhaitaient pouvaient proposer de vendre quelques-uns de leurs travaux au profit de l’AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris). « Notre initiative vient d’un sentiment d’urgence. Celui de faire quelque chose tous ensemble, racontent les artistes Marie Hazard et Audrey Guttman. Et la chose la plus porteuse pour nous c’est notre art. » Et de préciser : « On voulait tout réaliser avec des moyens artistiques, que l’identité artistique du projet soit forte. Même le nom "Urgence artistique" a un côté un peu Fluxus, Dada. » Le prix de chaque œuvre était fixé à 100 euros, avec l’objectif initial de récolter 2 000 euros. « Nous ne savions pas du tout si ça allait fonctionner, poursuivent les artistes. Puis l’initiative a eu un effet boule de neige : nous avons finalement récolté 18 000 euros qui ont été intégralement reversés au fond d’urgence de l’AP-HP. » Une telle somme permet l’acquisition d’un respirateur et de 10 000 masques FFP2. Réalisé « en dehors de tout enjeu financier », le projet a pu être repris dans différentes villes. Ce fut le cas à Lyon, notamment, et une opération se prépare à Bruxelles.
Des initiatives ciblées
Dans la même veine, une centaine de photographes dispersent leurs tirages, jusqu’au 15 mai, au profit des hôpitaux de Paris et de l’Institut Pasteur. Le collectif Les Amis des artistes (incluant la critique d'art Isabelle de Maison Rouge et l'artiste Sandra Matamoros) sollicite quant à lui l'engagement des collectionneurs en organisant la vente d'œuvres, dont 70 % du produit reviennent à leurs auteurs et 30 % à une cagnotte solidaire pour d'autres artistes. La galerie Olivier Waltman, qui avait déjà collaboré avec l’AP-HP après les attentats de 2015 à Paris, organise pour les hôpitaux de Paris une vente d’œuvres des artistes qu’elle représente. « La galerie ne prend aucune commission et une fois les artistes dédommagés de leurs frais de production, toutes les sommes perçues iront au fonds d’urgence Covid-19 », précise le marchand. De son côté, la galerie Mor Charpentier a relayé l’initiative Artists for Moria : plusieurs plasticien.ne.s, dont Lawrence Abu Hamdan, mettent leurs œuvres en vente au profit de Médecins Sans Frontières et de leur action sur l’île de Lesbos, en Grèce. La maison Tajan a quant à elle mis en place du 21 au 27 avril une vente de 200 lots (entre 100 et 10 000 euros) dont le produit sera reversé aux EHPAD, tandis que Rouillac organise jusqu'au 6 mai une enchère online et sans frais d'œuvres d'artistes vivants auxquels les sommes seront intégralement reversées. Dix pour cent, tel est enfin le pourcentage des ventes en ligne que certaines méga-galeries ont décidé de reverser à l’OMS (Hauser et Wirth), à l’association Heart to Heart International (Lelong), Gavin Brown Entreprise ayant décidé de les donner à cinq associations à New York et à Rome, notamment la branche italienne d’UNICEF.
Fondée voilà trois ans, l’association Thanks for Nothing n’a pas attendu la crise pour mettre la solidarité au cœur de ses actions. « Toute l’année nous sommes mobilisées en faveur de différentes associations, décrivent ses deux co-fondatrices, Marine Van Schoonbeek, ancienne de la galerie Chantal Crousel, et Blanche de Lestrange, directrice adjointe de la FIAC. Mais ce n’est pas si simple de continuer notre action avec le confinement. Thanks for Nothing a dû s’adapter. » En plus de poursuivre leur action auprès des réfugiés aux Grands Voisins – dont l’association a remporté l’appel à projets –, le collectif féminin a également souhaité agir auprès des femmes victimes de violences. « Comment les femmes trouvent-elles leur position en cette période de confinement ? », s’interrogent-elles. Alors qu’en France, les violences faites aux femmes ont augmenté depuis le début du confinement de plus de 30 %, Thanks for Nothing a décidé de collaborer avec la Maison des Femmes à Saint-Denis et l’association italienne Donne in Rete contro la violenza (D.i.Re). Afin de les soutenir, l'association vend des t-shirts (35 euros) sur lesquels sont imprimés les mots de l’artiste Alex Cecchetti : « If you think artists are useless, try to spend your quarantine without music, books, poems, movies, paintings and porn. » D’autres créateurs devraient prendre part au projet, notamment Laure Prouvost. La totalité des fonds récoltés sera reversée aux deux associations, et, afin de soutenir les artistes qui participent, les fondatrices de Thanks for Nothing collaborent avec le Fiorucci Art Trust. « Le travail avec les artistes apporte un nouveau réseau à ces associations qui sont heureuses que les créateurs et créatrices se mobilisent pour elles », observent Marine Van Schoonbeek et Blanche de Lestrange.
Urgence pour les artistes
Si les artistes n’hésitent pas à se mobiliser en ces temps de crise sanitaire et économique, ils sont les premiers touchés de plein fouet par le virus couronné. Le collectionneur Antoine de Galbert en a pleinement conscience. « En constatant l’arrêt total du fonctionnement du monde de l’art, j’ai décidé d’annuler ou de reporter les actions prévues par la fondation pour les trois derniers trimestres, dans le but d'aider un certain nombre d’artistes. En m’adressant à des associations, je suis sûr que ces aides sont réparties avec le plus grand sérieux », confie le fondateur de la regrettée Maison Rouge. En une semaine, une vingtaine d’associations ont déjà reçu des aides dans une limite de 5 000 euros chacune. « Mes choix sont dictés en partie par la logique entre le montant alloué et le format de la structure, mais aussi par la chaleur et l’intelligence des messages, et l’urgence des demandes », explique Antoine de Galbert. L’objectif est d’aider une centaine d’associations d’ici la fin de l’année, et peut-être plus si de nouveaux mécènes rejoignent le fonds.
La situation étant particulièrement complexe pour les artistes privés de galeries, donc de relai et de visibilité, le collectionneur Marty de Montereau a imaginé pour eux la plateforme de vente Smarty’s Arty, sans commission ni marge (hors frais techniques et commission monétique de 6 %). « Les artistes proposent les pièces disponibles dans leur stock, à l’atelier, détaille-t-il. La fourchette des prix est étroite, jusqu’à 600 euros maximum, avec quelques exceptions. » Une centaine d'artistes participent à la plateforme, à l’instar d’Arnaud Cohen, un habitué des biennales. « Ce geste de solidarité, s’il est symbolique car les gains espérés par chaque artiste sont très faibles, est d’autant plus beau qu’il représente un travail considérable alors qu’il est gratuit », vante-t-il. Et d’ajouter : « Il n’est pas seulement question ici de solidarité financière, mais aussi et avant tout de reconnaissance : nous sommes les membres d’une même communauté de destin. »
Des étudiants et professeurs en écoles d’art, comme à Cergy et Lyon, ont lancé des cagnottes pour aider les élèves les plus impactés par la situation. Aux Arts Décoratifs de Paris, c’est l’école elle-même qui a pris l’initiative de récolter des fonds grâce à un Fonds d’aide social d’urgence pour répondre aux besoins des élèves ayant perdu leur emploi ou leur gratification de stage et ne pouvant bénéficier du chômage partiel. Aux États-Unis, ce sont les fondations privées qui viennent en renfort des créateurs et créatrices, qui seraient 2,5 millions à travailler sur le sol américain : le fonds d’urgence Artist Relief attribue ainsi des aides de 5 000 dollars aux artistes et auteurs qui en font la demande sur artistrelief.org.
L'aggiornamento du milieu de l'art ?
Plus largement, c’est toute l’économie du secteur culturel qui risque d’être lourdement impactée par la crise sanitaire, notamment les structures dont l’équilibre financier était fragile avant même les débuts de la pandémie. Conscient de ces enjeux, le méga-galeriste David Zwirner a invité 12 plus jeunes petites enseignes, telles James Fuentes ou 47 Canal, à proposer des pièces d’artistes qu’elles représentent sur sa plateforme de viewing rooms. D'après nos informations, Emmanuel Perrotin compte également aider à la promotion en ligne d'une vingtaine de galeries de taille intermédiaire.
Est-ce à dire que ce milieu réputé individualiste a fait son aggiornamento ? Marie Hazard et Audrey Guttman l’affirment, l’élan commun a changé leur vision du monde de l’art : « On est tous ensemble, jamais nous ne l’oublierons. Émotionnellement, cela nous a boosté en début de crise. » Antoine de Galbert est lui plus circonspect. « Le milieu de l’art est composé de milliers d'artistes, de commerçants, d’intellectuels qui forment en apparence une entité compacte, alors que tous vont tenter de survivre individuellement à cette crise, estime-t-il. Il s’agit d’un monde où beaucoup disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus, où la solidarité s’estompe une fois passées les jeunes années, d’un monde sans pitié mais qu’au moins nous avons tous choisi passionnément. »