Ce devait être une grande fête, la conclusion de trois ans de travaux et la naissance d’un nouvel acteur majeur sur la scène culturelle autrichienne. Mais le musée Albertina Modern de Vienne et ses 2000 m² de surface d’exposition a dû se résoudre à garder porte close le 12 mars dernier, à cause de la crise du coronavirus. 4000 personnes étaient attendues lors de la soirée d’inauguration pour découvrir cette collection qui compte plus de 60 000 œuvres d’artistes renommés : Andy Warhol, Roy Lichtenstein ou encore Pierre Soulages. Une décision douloureuse prise par Klaus Albrecht Schröder, le directeur de l’Albertina Museum, véritable institution viennoise, dont l’Albertina Modern est une antenne : « Je savais que nous mettrions en danger nos invités, nos visiteurs ou notre personnel si l’on ouvrait comme prévu », explique-t-il.
L’ouverture de ce nouveau musée a été reportée à une date indéterminée. Aujourd’hui, un problème plus urgent occupe M. Schröder : les pertes colossales qu’enregistre l’Albertina Museum en raison de sa fermeture. « Nous perdons environ 70 000 euros par jour. […] Je pense que nous resterons fermés sans doute jusqu’au 20 avril. D’ici là, nous allons probablement perdre 2,7 à 3 millions d’euros au total. » Et les difficultés financières devraient se prolonger après la sortie de la crise : « Je m’attends à ce qu’on ait, au moins pendant les mois d’été, 50 % de visiteurs en moins par rapport à l’année précédente ». Le directeur craint une baisse du nombre de visiteurs internationaux, mais aussi autrichiens, car « le taux de chômage est élevé » à cause de la crise du coronavirus, constate-t-il. « N’oublions pas qu’aujourd’hui, c’est une crise sanitaire, mais demain, ce sera une crise économique. L’Albertina est particulièrement touché, car nous dépendons des recettes et des visiteurs, nous ne sommes pas financés à 90 % par l’État comme d’autres musées fédéraux, mais seulement à 30 %. » Le musée compte donc sur le soutien de l’État autrichien pour faire face à cette situation, qu’il juge alarmante.
À l’Opéra : 131 000 euros de pertes par représentation annulée
Également dépendant de la billetterie : l’Opéra national de Vienne. « Nous avons annulé toutes les représentations jusqu’au lundi de Pâques inclus. Nous avons ici une force qui, en cette situation, devient une faiblesse : nous faisons de fortes recettes. Nous vendons quasiment tous les billets. [...] Nos recettes moyennes représentent chaque soir 131 000 euros, donc chaque fois que nous annulons, nous perdons cette somme », explique son directeur, le Français Dominique Meyer. Il reste toutefois confiant : « Notre avantage, c’est que la situation financière de l’Opéra est très saine, nous avons des réserves. Même si l’on a un moment difficile qui dure un peu, on peut s’en sortir sans trop de dégâts. Le problème, c’est qu’il était prévu que les réserves soient utilisées pour le financement des années à venir et là, il faudra qu’il y ait des révisions. »
Mais la crise aura une incidence sur la programmation : « Si jamais la crise se résout ici en Autriche, cela ne veut pas dire que toutes les frontières vont être rouvertes de suite, car on va avoir peur de faire rentrer à nouveau le virus par l’intermédiaire de voyageurs étrangers. Ça veut donc dire qu’on aura probablement du mal à avoir les chanteurs internationaux qui viennent du monde entier », anticipe Dominique Meyer. L’institution a par ailleurs décidé durant cette période de proposer gratuitement en streaming des enregistrements d’opéras et de ballets issus de ses archives. « Nous nous sommes dit que, dans des temps de doutes, de peur, il était justifié que les institutions culturelles fassent la démarche d’aller dans les maisons des gens qui ont peut être un manque de repères, de culture, pour à la fois nourrir les âmes mais aussi offrir une distraction. »
« Nous n’abandonnerons personne »
Face aux inquiétudes du monde de la culture, le gouvernement martèle un message : « Nous n’abandonnerons personne ». La coalition entre conservateurs et verts, qui dirige l’Autriche depuis janvier dernier, a annoncé un plan d’aide pour l’économie de 38 milliards d’euros, et la culture sera évidemment concernée, assure au Quotidien de l’Art Ulrike Lunacek, secrétaire d’État (Verts) aux Arts et à la Culture. Inclus dans ce programme : un fonds d’un milliard d’euros pour les cas particulièrement difficiles, destiné à soutenir les plus petites entreprises et les auto-entrepreneurs et ce, notamment, dans le domaine des arts et de la culture. « Des versements immédiats, rapides et sans bureaucratie seront disponibles, et ils n’auront pas à être remboursés », promet la secrétaire d’État, qui mise également sur un dispositif de chômage partiel et des allègements fiscaux pour prévenir les licenciements au sein des institutions culturelles.
« Sans la créativité des artistes et des acteurs de la culture, notre société serait très appauvrie. En ces temps où la vie publique est à l’arrêt, nous réalisons combien l’art et la culture nous manquent. […] De plus, ils représentent, en Autriche particulièrement, un facteur économique important en lien avec le tourisme », explique Ulrike Lunacek. Le meilleur exemple reste Vienne : la capitale autrichienne a enregistré, l’an passé, un nouveau record avec 17,6 millions de nuitées. Autant de touristes venus découvrir les innombrables institutions culturelles de la ville impériale.