Arpenter la rétrospective Charlotte Perriand à la Fondation Louis Vuitton est révélateur : les pièces anciennes n’ont rien à voir avec celles que son éditeur contemporain, Cassina, a fabriquées pour l’occasion. Le modèle est identique mais la façon de l’exécuter diffère. Sujets à controverse, car nombreux au sein de l’exposition, ces tirages servent-ils un but curatorial ou ont-ils des fins commerciales ? Entre politique et argent il n’y a qu’un pas. Chez Vitra, fabricant suisse, il y a un mot d’ordre : Karin Gintz, directrice Home de la marque pour la France, souligne que leur vocation n’est pas de faire « comme à l’époque » mais bien de « fabriquer des produits d’actualité avec les meilleures innovations ». La mission culturelle des musées Vitra (Weil am Rhein, Allemagne) n’est pas la seule : leur politique d’achat de pièces historiques sur le marché vise à « créer des archives et comprendre le génie créatif pour ne pas plagier », comme le souligne Isabelle de Ponfilly, directrice générale de Vitra France. Pour un éditeur, lancer une collection implique des investissements colossaux, toujours en partenariat avec les ayants droit et en consultation avec les experts du marché. Lorsque la collection Jean Prouvé fut lancée en 2001 chez Vitra sous l’égide de sa fille, Catherine Prouvé, le boom que le marché avait connu a aidé l’éditeur mais a aussi inquiété marchands et collectionneurs, pourtant concertés.
Mais les nuages se sont rapidement dissipés car les technologies employées n’ont rien à voir et les finitions nettes ne trompent pas. « Depuis sa création en 1958, le fauteuil Egg d’Arne Jacobsen est édité par Fritz Hansen et son procédé de fabrication est resté identique », explique Stephen Legue, directeur des ventes France de ce fabricant danois. Si une étiquette – quand elle est présente – permet de dater la pièce, le fait que celle-ci soit toujours éditée par le même fabricant rend les prix sensiblement identiques sur les marchés neufs et anciens alors que la valeur d’une chaise de Prouvé peut largement décupler de l’un à l’autre. Ancienneté et rareté valent argent. Avoir la « bonne édition » est le nerf de la guerre. Les éditions contemporaines, sous contrat avec les designers ou leurs ayants droit, permettent de rétribuer ces derniers à chaque vente, contrairement au second marché qui ne suit ou ne comprend pas toujours les règles du droit de suite établies par l’ADAGP en matière de design.
Des marchés en relation
« Si valeur il y a, il y a des faux », note Philippe Jousse, directeur de la galerie éponyme. Ce marché de la contrefaçon gangrène autant le marché contemporain qu’ancien. Les deux éditeurs contactés s’accordent pour localiser en Chine la plus grosse production. « Ce sont les mêmes réseaux que ceux du grand banditisme, ils ont investi dans de l’outillage, leur permettant de gagner beaucoup d’argent avec moins de risques », confie Isabelle de Ponfilly. À titre consultatif, le marché fait parfois appel aux éditeurs pour infirmer ou confirmer l’authenticité, ou l’ancienneté. Car cette dernière donnée étant primordiale, certains professionnels patinent à dessein les pièces, notamment les cuirs, comme le note Stephen Legue, entretenant des zones de flou. À Design Miami, qui ouvre ses portes le 3 décembre, nulle place ne sera accordée à la contrefaçon ou aux éditions contemporaines : lors des foires d’une telle envergure, les comités de sélection et de validation ne sélectionnent que des œuvres originales et historiques.
À voir
Le nouveau monde de Charlotte Perriand, jusqu'au 24 février 2020, Fondation Louis Vuitton, Paris (16e), fondationlouisvuitton.fr
Design Miami, du 3 au 8 décembre, miami2019.designmiami.com