La « giga-semaine » des enchères de New York est terminée. Les chiffres sont connus, le moment est venu de regarder les résultats de près. Ces ventes sont un indicateur important pour le marché de l'art, mais si les salles de vente peuvent annoncer triomphalement quelques méga-prix (un Ruscha à 52,5 millions de dollars, un Monet à 27,6 millions !), la réalité n’est pas aussi brillante que cela. Durant cette semaine du 11 novembre, Sotheby's, Christie's et Phillips ont vendu des œuvres impressionnistes, modernes, d'après-guerre et contemporaines, à l’occasion de quelques soirées vedettes, mais aussi lors de ventes plus ordinaires en journée.
La grande leçon de la semaine est que le marché s'est radicalement contracté. Les ventes se situent légèrement en deçà de 1,5 milliard de dollars, c’est-à-dire loin des 2,3 milliards enregistrés il y a deux ans lors des mêmes sessions. Cette année, les enchères d'art impressionniste et moderne ont rapporté un peu plus de 400 millions de dollars, contre près de 594,6 millions l'an dernier, soit une baisse de 32 %. Pour l’art d'après-guerre et contemporain, le total s'élève à 581,8 millions de dollars, soit une baisse presque identique : moins 31,5 % par rapport à 2018. Les acheteurs se sont certainement montrés plus prudents et plus exigeants : il est significatif que 35 à 40 % des lots proposés ont été adjugés en dessous des estimations, même si quelques stars ont dépassé l'objectif.
Peu de stars
Les raisons de ce déclin ? Les turbulences dans le monde – les troubles persistants à Hongkong, la débâcle du Brexit au Royaume-Uni et le processus de destitution du président américain – ont pu déstabiliser les acheteurs. Le succès des ventes dépend, nous le savons, de l’offre, et, cette année, il n'y a pas eu d’œuvres importantes émanant de Rockefeller ou de S.I. Newhouse, ni de décès de grands collectionneurs. D’une manière générale, cette absence de « trophées » expliquerait la forte baisse de la valeur globale des ventes. Pour les impressionnistes et l'art moderne, les ventes ont été modérées ; là encore, on a manqué de stars, et, apparemment, certains prix de réserve ont été réduits juste avant les enchères.
Sotheby's, qui tenait sa première session depuis son rachat par Patrick Drahi, a battu le record avec le Pont de Charing Cross de Monet (1903), œuvre jolie mais loin d’être aussi recherchée qu’une meule de foin ou un nymphéa. Manifestement, l'intérêt pour ce tableau a été léger, les enchères ayant commencé à 15 millions de dollars, bien en dessous de l'estimation la plus basse de 20 millions de dollars ; finalement, elle a été adjugée pour 27,6 millions. Chez Christie's, trois lots ont été retirés avant la vente, ce qui est généralement un signe de manque d'intérêt. Et si Le Seize septembre (1957) de Magritte a dépassé son estimation de 7-10 millions de dollars pour atteindre les 19,6 millions, ce n'est pas un triomphe : il avait été, pense-t-on, vendu pour 21 millions de dollars cinq ans plus tôt. Le prix le plus élevé de la semaine est allé à un Ruscha, Hurting the Word Radio #2 (1964), lors de la vente d’art contemporain de Christie's. L’œuvre a dépassé son estimation de 30-40 millions de dollars pour atteindre 52,5 millions. Elle avait tout pour elle : achetée directement à l'artiste au début des années 1970, elle n’était jamais passée par une vente aux enchères.
Ajustement
L'intérêt pour les artistes africains-américains est demeuré vif, la vente d’art contemporain de Sotheby's démarrant avec Charles White (estimé à 500 000-700 000 dollars, vendu pour 1,76 million). Les estimations ne prennent pas en compte les frais, mais les résultats, oui. Kerry James Marshall a également été très recherché : sa Vignette 19 (2014) a atteint 18,5 millions de dollars, par rapport à un objectif de 6,5 à 7,5 millions. Voilà un artiste dont il est très difficile d'acquérir les œuvres sur le premier marché, ce qui veut dire que toute offre aux enchères a tendance à s'envoler. Norman Lewis et Jack Whitten ont également dépassé les estimations, tandis que chez Christie's, Fantastic Sunset (1970) d’Alma Thomas a établi un nouveau record à 2,7 millions de dollars. Les œuvres de plusieurs jeunes artistes ont également connu un certain succès : c’est le cas de Dana Schutz (1,1 million de dollars) ou de Julie Curtiss (400 000 dollars) lors de la vente chez Phillips, qui a atteint, en tout, les 108 millions de dollars.
Selon Suzanne Gyorgy, responsable du conseil en art à Citibank, « les goûts changent. Certains grands collectionneurs possèdent déjà des œuvres majeures d'artistes contemporains d'après-guerre, comme De Kooning ; ils achètent donc moins activement. Il faut suivre son temps, et je vois maintenant des collectionneurs de plus de 30 ans se tourner vers KAWS. » Par exemple, Blue Over Red (1953) de Mark Rothko n'a pas tout à fait atteint son estimation la plus basse, soit 26,5 millions de dollars pour une unique enchère. Par rapport à des noms plus récents, ces œuvres sont aujourd’hui moins recherchées, même si l’ordre de prix n’est pas le même. Le Rothko avait une garantie d'une tierce partie, et, note Gyorgy, « les garanties ont certainement été bien présentes dans la vente d’art contemporain chez Christie's ; 24 lots sur 54 avaient le soutien d'un tiers. Mais ce n’est pas la catastrophe. Il y a certainement eu un ajustement du volume, et certaines œuvres sont en mauvais état. Je reste confiante en l'avenir du marché. »
Morgan Long, directrice de Fine Art Group, fait un commentaire similaire : « Quelques bons prix records, pas beaucoup de feux d'artifice, mais des taux de vente corrects, et certainement pas un marché en détresse. Quiconque pense que le marché est en déclin n'a qu'à regarder le total des ventes par jour, qui ont été parmi les plus élevées de tous les temps ». D’autres observateurs du marché se réjouissent de la vente prochaine de la collection des milliardaires Macklowe, couple en instance de divorce. Évaluée à 700 millions de dollars, cette collection, qui réunit des œuvres de Picasso, Pollock, Koons, Warhol et Marden, sera dispersée l'an prochain. La vente devrait réserver quelques belles surprises.
Les garanties ralentissent aussi
Selon le cabinet d'analyse du marché de l'art ArtTactic, « la course aux garanties sur les enchères ralentit ». Dans un rapport publié immédiatement après les ventes de New York, les auteurs constatent que, « par rapport à 2018, on observe une diminution de 33 % des garanties dans les ventes aux enchères de l'art d’après-guerre et de l’art contemporain ». Le retour sur les garanties dans cette même série de ventes a également diminué. En 2018, le rendement moyen était de 11,8 %, alors qu'il a chuté à environ 6 % cette année. Le rapport note qu'« une baisse de l'appétit pour le risque pourrait annoncer des faiblesses à venir ». La tendance à la diminution des garanties a été sensible chez Christie's (de 319 millions de dollars en novembre 2018, sur la base d'une estimation basse, à 181 millions de dollars, soit une baisse de 42 %). Chez Sotheby's, les chiffres ont été de 188 millions de dollars l'an dernier et de 128 millions cette année, soit une baisse de 32 %). Cependant, Phillips a inversé la tendance, avec des garanties qui ont augmenté de 73 % (30,5 millions de dollars en 2018 à 53 millions en 2019). Le rapport complet est disponible sur arttactic.com.