Le Quotidien de l'Art

Marché

Les hôtels de luxe, alliés stratégiques des galeries

Exposition « La Promenade du Collectionneur II » à l'Hôtel Le Meurice, Paris. Œuvres, de gauche à droite : Valentin Loellmann, marble, sofa ; Emma Donnersberg, Organika, table ; Kim KototamaLune, L'Élan des songes et Bourgeon II ; Georges Mohasseb, Bee, chaise.
Exposition « La Promenade du Collectionneur II » à l'Hôtel Le Meurice, Paris. Œuvres, de gauche à droite : Valentin Loellmann, marble, sofa ; Emma Donnersberg, Organika, table ; Kim KototamaLune, L'Élan des songes et Bourgeon II ; Georges Mohasseb, Bee, chaise.



© Le Meurice, Paris-Dorchester Collection/Maison parisienne/Galerie Gosserez.

Philippe GOMBERT.
Philippe GOMBERT.
Photo Anne-Claire Heraud.
Hanna et Charly Bailly.
Hanna et Charly Bailly.
Courtesy Gallery Bailly.
Exposition organisée par la galerie Bailly au Bristol, Paris.
Exposition organisée par la galerie Bailly au Bristol, Paris.
Photo Claire Cocano/Courtesy Gallery Bailly.
Jean Louis Herledan.
Jean Louis Herledan.


© 1831 Art Gallery.

Bureau de la suite présidentielle du Lutetia, Paris.
Bureau de la suite présidentielle du Lutetia, Paris.
© Hôtel Lutetia/Carré Rive gauche.

Pour l’hôtellerie de luxe, présenter des œuvres d’art est devenu un lieu commun. Plusieurs galeries établies tirent parti de ces partenariats aux modalités diverses, profitant de leur éventail de services, d’un nouveau canal de vente ou d’une source de revenus complémentaire.

« Comment gérer une proposition artistique » : c’est sous ce titre qu’un article publié dans le magazine L'Hôtellerie Restauration dispensait ses conseils aux professionnels du secteur pour organiser des expositions sous leur toit. C’est dire si convier l’art à l’hôtel est devenu commun – avec des résultats plus ou moins heureux. Pendant la Fiac, le Park Hyatt propose ainsi une carte blanche au Berlinois Gregor Hildebrandt ; en marge du dernier PAD, la Maison Parisienne et la galerie Gosserez imaginaient leur « Promenade du collectionneur » au Meurice ; depuis 2013, le groupe hôtelier Rosewood, propriétaire du Crillon, s’accompagne des « Rosewood Curators », dont Emmanuel Perrotin ou Simon de Pury, tandis qu’en 2016, Kamel Mennour et Patrick Seguin ont investi de petits espaces adjacents au Claridge’s à Londres. « L’art fait partie du luxe ultime », souligne le galeriste Charly Bailly. Dans la concurrence féroce que se livrent les hôtels – d’après le cabinet de conseil Coach Omnium, le parc parisien a gagné 27 % de nouveaux 3 à 5 étoiles depuis 5 ans –, l’art offre en effet une identité forte et permet de fidéliser les hôtes. « Avant, les clients se satisfaisaient d’une chambre confortable et d’un bon dîner. Aujourd’hui, c’est une expérience émotionnelle globale qui fait la différence », explique Philippe Gombert, président de Relais & Châteaux. 

Des clientèles similaires

Si certains hôteliers s’adjoignent des commissaires indépendants ou des sociétés spécialisées, comme le Royal Monceau, pionnier du genre, avec Art Photo Expo, d’autres font appel à des galeries établies, avec des modalités diverses. En septembre, Hanna et Charly Bailly ont remporté contre quatre confrères un appel d’offres lancé par le Bristol : depuis septembre, ils occupent de façon pérenne un espace au sein même du cinq étoiles, où ils accrochent des toiles signées Chagall, Matisse ou Picasso. L’hôtel ne prend pas de pourcentage sur les ventes, mais facture la location de l’espace. Sotheby’s, Christie’s ou Artcurial devraient y présenter ponctuellement des pièces phares de leurs ventes. « L’emplacement est idéal, et nous pouvons profiter de tous les services de l’hôtel : le café où je peux amener des clients en toute confiance, les taxis, le restaurant… Nous bénéficions d’ores et déjà d’une clientèle que nous n’aurions jamais eue ailleurs », s’enthousiasme Charly Bailly. 

En juin dernier, un an après sa réouverture, le Lutetia a de son côté inauguré une nouvelle version de sa suite présidentielle, la plus luxueuse de l’hôtel, en collaboration avec le Carré Rive Gauche. L’association de galeristes y dispose 25 œuvres, dans un décor renouvelé tous les six mois. La clientèle huppée peut ainsi dormir auprès d’un Bodhisattva du Ier siècle ap. J.-C. ou prendre un bain face à une Vénus en marbre italien du XVIIe. « Nous offrons un panorama de l’histoire des arts. La sélection a été faite par un couple de collectionneurs, avec l’idée qu’eux-mêmes pourraient y séjourner. Cela permet aux hôtes de se projeter avec les œuvres. Ces clients de l’hôtellerie de prestige sont potentiellement les mêmes que les nôtres », détaille Jean-Louis Herledan, président du Carré Rive Gauche. Le partenariat est conçu comme un échange de bons procédés, sans facturation de part et d’autre. Et le pari semble fonctionner : du côté des galeries, plusieurs œuvres ont été cédées tandis que la suite présidentielle, facturée plusieurs milliers d’euros, affiche le plus fort taux d’occupation de tous les étages.

Expositions clés en main

Autre partenariat sans flux financiers, celui établi entre Magda Danysz et l’hôtel Molitor pendant près de deux ans. L’établissement a ouvert ses portes en 2014 dans un fastueux bâtiment Art Déco – jadis une piscine de luxe qui fut abandonnée et taguée. En 2017, son dirigeant avait confié à la galeriste les clés de la « Villa Molitor », un vaste espace au rez-de-chaussée où se déroulaient des expositions ou des résidences d’artistes. « Ce lieu séparé de l’hôtel avait sa vie propre. Il nous a permis d’avoir une plateforme d’expression, dans une zone de Paris éloignée de la galerie, et d’offrir un lieu de travail à nos artistes qui logeaient même parfois dans les chambres », précise la porte-parole de la galerie. Une quarantaine de lithographies – signées Villéglé, l’Atlas ou Blek le Rat, et financées par Molitor – sont toujours à vendre dans les chambres.

Dans d’autres établissements, notamment le Bvlgari hôtel à Shanghai, la galerie peut également facturer des prestations de conseil pour des expositions clé en main, ou encore répondre à des commandes d’œuvres. Des confrères ont passé un autre cap en quittant leurs habits de galeriste pour endosser ceux d’hôtelier. Guillaume Foucher et Frédéric Biousse ont ainsi fermé la parenthèse de la Galerie Particulière pour fonder les domaines de Fontenille, à Lourmarin, Minorque et Hossegor. Même revirement pour Franck Laigneau, qui a laissé derrière lui sa galerie de design pour ouvrir Dá Licença dans l'Alentejo portugais.

Article issu de l'édition Hors-série du 18 octobre 2019