Archives du Nord, écrivait Marguerite Yourcenar. Pour le Louvre, c’est désormais d’actualité. Un bâtiment de 18000 m2 d’emprise au sol a été inauguré hier, sur la commune de Liévin, à quelques centaines de mètres du Louvre Lens. Il a pour mission de rassembler en un seul endroit les réserves du plus grand musée de France. « Elles sont actuellement éparpillées sur 63 sites, dont les sous-sols de l’aile Denon, explique le président directeur, Jean-Luc Martinez. Dans les 5 prochaines années, 250 000 œuvres vont y être installées, soit le plus grand transfert dont j’aie connaissance pour un musée de notre époque. » La motivation première est évidemment de parer aux risques de crue, décennale (comme en 2016) ou centennale (comme en 1910) et le maire de Liévin, Laurent Duporge, n’a pas manqué, dans une allocution pleine d’ironie, de « remercier la Seine ». Mais il s’agit aussi de créer un bâtiment répondant aux normes techniques les plus avancées pour le stockage et disposant d’espaces pour les restaurateurs. « Nous pourrons y dérouler les tapisseries ou les grands formats dont raffolaient les siècles passés. Nous y aurons la plus grande cabine de vernissage de France, pouvant traiter des formats de 4x3 mètres. » Le patron du Louvre lie ce nouvel équipement à l’effort de numérisation : à la fin de l’année sera mis en ligne le site internet des collections, avec 460 000 notices d’œuvres, soit 75% des collections totales du musée.
Signé Stirk
C’est l’agence Rogers Stirk Harbour (en l’occurrence, sous la baguette de Graham Stirk) qui a signé le bâtiment sobre, en un temps record – 2 ans de la pose de la première pierre à la livraison. Un toit végétalisé et l’enterrement partiel de la structure assurent une étonnante inertie thermique. La température y sera maintenue entre 18 et 22°C et l’hygrométrie entre 45 et 55%. Le système de climatisation, brassant 0,3 vol/h, pourra monter à 1,5 vol/h en cas d’infestation : tout l’air d’une pièce pourra ainsi être renouvelé en 40 minutes. La signature Rogers se lie dans un mélange de sophistication technologique et de simplicité spatiale : les locaux techniques sont confinés sur une largeur de 5,5 m, derrière deux murs « remparts », laissant l’immense espace de stockage facilement modulable. L’intégration dans le paysage se fait par la pente douce de la ligne de toit (qui perd 30 cm sur chacune des 20 travées de 8 m). D’un côté, le bâtiment est haut de 10 m, de l’autre il ne fait plus que 3 m et épouse le sol, qui abritait autrefois une cité minière. L’agence a tiré profit de son travail récent sur les réserves du British Museum, creusées, elles, sous le site du musée, pour un coût évidemment moindre : au lieu des 120 millions de livres, il a ici suffi de 60 millions d’euros. Qui finance ? Le musée du Louvre avec 34,5 millions – « provenant des redevances du Louvre Abu Dhabi », précise Jean-Luc Martinez –, le FEDER de l’Union européenne (18 millions), la région Hauts-de-France (5 millions), le ministère de la Culture (2,5 millions). Les terrains, d’une valeur foncière de plus de 2,5 millions d’euros, ont été mis à disposition pour un euro symbolique par la Communauté d’agglomération de Lens-Liévin.
Des critiques aussi…
Les opposants ne manquent pas. Un communiqué intersyndical pointe notamment l’éloignement (200 km du Louvre) – qui aurait été motivé par la possibilité de faire porter le financement sur les collectivités territoriales –, les coûts de fonctionnement à prévoir, l’empreinte carbone et les déplacements incessants, qui compliqueront la tâche des conservateurs et restaurateurs. L’impact sur l’emploi local est tout aussi problématique : même avec les 450 000 visiteurs annuels du Louvre Lens, la place de la gare est une morne plaine où les bars ferment les uns après les autres et où l’ancien cinéma Art déco attend toujours sa rénovation. Si le Louvre a choisi Liévin, comme l’a reconnu Jean-Luc Martinez, c’est que les partenaires locaux n’exigeaient pas l’ouverture d’un espace au public. Les employés permanents ne seront donc qu’une quinzaine, en mesure de contrôler par des processus très automatisés cet entrepôt futuriste. Les quelques concessions – réunions des musées de la région, ouverture aux chercheurs, sessions de l’Institut national du patrimoine – serviront plutôt de vitrine. Xavier Bertrand, président de la région, a appelé à la formation de transporteurs locaux, mais a implicitement reconnu que la motivation principale de ce Centre de conservation était culturelle, en l’attente du développement d’un cluster d’industries spécialisées. Il a saisi l’occasion pour apostropher son « ami Franck Riester » sur l’urgente modernisation de la galerie du Temps (pourtant ouverte il y a moins de 10 ans), qu’il a budgétée à 5 millions d’euros, obtenant une première promesse de 300 000 euros. En revanche, la plainte du maire de Lens, Sylvain Robert, sur la suspension de trois TGV quotidiens par la SNCF, n'a pas reçu de réponse : une action à contresens dans une perspective de développement cohérente...