C’est devenu le casse-tête des grands musées. Attirer un public toujours plus nombreux sans obliger les visiteurs à piétiner des heures devant l’entrée. Proposer des expositions blockbuster sans que, une fois à l’intérieur, ils se retrouvent compressés au point de ne plus pouvoir respirer. Ce dilemme, le Louvre s’y trouve confronté à l’occasion de l'exposition « Léonard de Vinci ». Sa solution pour éviter les files d’attente qui serpentent sur le trottoir et les jauges qui ne désemplissent jamais ? Rendre obligatoire la réservation d’un créneau horaire sur Internet, ou dans certains grands magasins. Dispositif qui s’appliquera à tous, sans exception.
Le problème n’est pas nouveau. « Du temps de l’exposition "Ingres", en 2006, on voulait faire entrer le plus de monde possible. Les personnes étaient tellement agglutinées devant les œuvres qu’elles ne voyaient plus rien, c’était déprimant », se souvient l’administrateur général adjoint Vincent Pomarède, à l’époque directeur du département des Peintures. Mais c’est en 2017 que le Louvre envisage de changer son système de billetterie. Il faut rappeler que cette année-là, ce sont 9 000 personnes qui affluent pour admirer les toiles de Vermeer dès le premier jour de l’exposition. Beaucoup repartent bredouilles. Et même ceux qui ont réservé sur Internet en sont pour leurs frais : ils ont un billet mais… pas de créneau horaire attribué. Les voilà donc eux aussi obligés de patienter. Le musée parisien décide alors de tester l’horodatage. « Des périodes de rodage sont nécessaires pour déterminer le bon nombre de créneaux », admet Vincent Pomarède. Deux ans plus tard, il en est convaincu : grâce à ce système, on pourra accéder aux œuvres de Vinci en « moins d’un quart d’heure ».
Chiffre vs souplesse
Même son de cloche du côté du Centre Pompidou : sans billet horodaté acheté à l’avance, pas de visite possible de l’exposition Francis Bacon. Une première. « Hier, nous avons fait entrer plus de 4 600 visiteurs et avons tenu la promesse d’une attente d’une demi-heure », se félicite Catherine Guillou, directrice des publics. Une victoire au regard des queues enregistrées lors des monographies précédentes : jusqu’à plus de deux heures d’attente pour Salvador Dalí qui avait attiré 790 000 visiteurs en 2012, comme pour Jeff Koons en 2014, ou David Hockney en 2017. Il n’empêche. Le choix de Beaubourg est en partie conjoncturel : « On est en pleine période de travaux : la piazza étant condamnée, on a été obligé de rediriger le public vers la rue du Renard. Quant à nos flux verticaux, ils sont perturbés », note Catherine Guillou, qui affirme : « Nous n'avons pas vocation à systématiser l’horodatage obligatoire – même s’il se peut qu’on l’applique dorénavant aux grosses expositions – et encore moins à l’étendre aux collections permanentes. » Le dispositif adopté est ici un peu plus souple qu’au Louvre. D’abord parce que les publics prioritaires continuent de bénéficier de files dédiées, ensuite parce qu’il est toujours possible d’acheter un billet à la dernière minute quand il reste de la place. Mais il faut reconnaître que la topographie du Louvre est plus contraignante. Non seulement le Hall Napoléon ne mesure que 1350 m2, mais les deux couloirs menant aux grandes salles peuvent vite se transformer en goulots d’étranglement.
Même constat au Grand Palais. « Comme on ne peut pas pousser les murs, on incite notre public à réserver un créneau de visite, mais ce n’est pas obligatoire », observe pour sa part Valérie Bex, responsable du service Accueil Information Vente au Grand Palais. De fait, ça fonctionne plutôt bien : pour les grandes expositions, 65 à 70 % des visiteurs payants, hors abonnés, réservent. Au point que certains créneaux sont parfois pris d’assaut : « Monet, Hopper ou Picasso affichaient complet ! La seule solution, c’était de faire la queue… Du coup on a proposé des ouvertures 24 heures sur 24 », poursuit Valérie Bex. L’institution, qui se prépare à fermer pour travaux en 2020, réfléchit cependant à de nouvelles dispositions pour sa réouverture. Sans exclure l’hypothèse de la réservation obligatoire.
Reste que tous les musées n’ont pas encore la capacité technique de vendre en ligne des billets horodatés. C’est le cas d’Orsay, qui prévoit de rattraper son retard dès le printemps 2020. Mais n’a pas pour autant l’intention de l’imposer au public. Contacté, le musée affirmer rester « attaché à offrir la possibilité de venir spontanément pour acheter son billet sur place ».
À voir
« Bacon en toutes lettres », jusqu'au 20 janvier 2020, au Centre Pompidou, Paris, centrepompidou.fr
« Léonard de Vinci », du 24 octobre 2019 au 24 février 2020, au musée du Louvre, Paris, louvre.fr