Le Quotidien de l'Art

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Woman-washing

Woman-washing
Couverture de l'Hebdo du 4 octobre 2019
Simone Altamura

Pour se donner bonne conscience, il n’y a pas mieux que de s’abriter derrière les femmes. Prenons les musées, qui, inquiets d’un procès en phallocratie, les remettent à l’honneur de manière affolée mais pas nécessairement ratée, soyons honnête : hier Berthe Morisot à Orsay, aujourd’hui Charlotte Perriand à la Fondation Louis Vuitton, demain Cindy Sherman, toujours chez Vuitton, et Alice Neel au Centre Pompidou. Un petit progrès pour ce dernier, qui ces temps-ci avait surtout plébiscité les mâles blancs naphtalinés.

La promotion de l’art au féminin risque de tourner au woman-washing à la Biennale 100% femme, qui se tient à Rabat sous l’égide du roi Mohammed VI. Sur le papier, l’idée est vertueuse. Le commissaire, Abdelkader Damani, est de qualité. Et les artistes choisies sont de ferventes féministes. Sauf qu’il ne faut pas oublier l’envers du décor. Ou plutôt le décor lui-même, celui d’une société marocaine patriarcale, où, malgré d’indéniables progrès, les femmes n’ont que les trois quarts des droits des hommes selon le dernier rapport de la Banque mondiale publié en février. Encore aujourd’hui, elles sont les premières victimes de lois rétrogrades, ce qu’induit tacitement la phrase brodée en anglais et arabe par Katharina Cibulka sur la façade du musée Mohammed VI : « Aussi longtemps que suivre des lois est plus important que suivre nos cœurs, je serai féministe. »

Une sentence qui trouve un triste écho dans l’actualité. Le 30 septembre, six jours donc après l’ouverture de la Biennale, un juge marocain a condamné à un an de prison la journaliste Hajar Raissouni, 28 ans,  pour « avortement illégal » et « débauche ».

La concomitance de la biennale et de ce procès inique n’a pas échappé à Hicham Daoudi, fondateur de la galerie Le Comptoir des Mines, qui a décliné l’invitation à se rendre au vernissage alors que le sort de Hajar Raissouni était encore en suspens, précisant ne pas vouloir être pris à défaut entre ses paroles et ses actes. Exposer le plaisir de femmes onanistes, faire entendre la volupté d’Oum Kalthoum, c’est bien. Mais pour ne pas être taxé de schizophrénie, voire de duplicité, il faut aller plus loin, d’autant que l’événement éminemment politique, sert le soft power culturel du royaume chérifien. Las, aucun de ses organisateurs n’a pris clairement la parole en faveur d'Hajar Raissouni. On ne peut qu’exhorter les artistes vivantes exposées à la biennale d’élever la voix contre le sort réservé à la jeune journaliste avec autant de courage que les centaines de Marocaines qui se sont déclarées « hors la loi » en signant le manifeste lancé par l’écrivaine Leïla Slimani et la réalisatrice Sonia Terrab. Question de sororité, et plus encore de cohérence.

Article issu de l'édition N°1804