Chicago, sa skyline de verre et d’acier, ses gratte-ciels légendaires. C’est là où furent érigées les deux premières tours jumelles en forme d’épis de maïs, là où Frank Lloyd Wright imagina la maison du XXe siècle aux lignes horizontales. Mais la troisième ville des États-Unis est aussi une capitale artistique, qui dans les années 1970 rivalisait avec New York. Sa foire était « le rendez-vous de toute l’Amérique, la meilleure du monde après Bâle », se souvient Daniel Templon qui n’en ratait pas une édition. Quelques collectionneurs tenaient alors le haut du pavé : Stefan Edlis, qui a donné sa collection à l'Art Institute, Samuel Zell, Gerald S. Elliott et Lewis Manilow, décédés respectivement en 1994 et 2017.
La crise de 1990 en a toutefois précipité le déclin, renforcé par le lancement de l’Armory Show en 1994 à New York puis d’Art Basel Miami Beach en 2002. Les plus grands marchands l’ont désertée à l’orée des années 2000, préférant des places de marchés plus sûres et moins locales, comme Miami. Depuis avril, Chicago doit compter avec une nouvelle concurrente, Frieze, qui a bourgeonné à Los Angeles. « Miami a attiré l’attention du monde de l’art, mais elle n’a pas de scène artistique, d’université reconnue pour les arts visuels, ni de galeries intéressantes. Los Angeles a tout le circuit des artistes-écoles-musées-collectionneurs, analyse une observatrice. Mais rien ne remplace New York, qui est le centre de décision, car en plus de tous les autres acteurs, c’est là où ont lieu les grandes ventes aux enchères. Les plus importants collectionneurs américains habitent New York, ou y ont une base en plus de leur résidence principale. »
Indépendance d'esprit
Et Chicago dans tout ça ? « La ville n’a pas la complexité de New York, admet Rhona Hoffman, doyenne des galeristes locales. Mais elle a des institutions incroyables, des écoles d’art, des artistes et des collectionneurs. » Lorsque la galeriste Mariane Ibrahim a cherché un nouveau point de chute après avoir officié pendant sept ans à Seattle, elle n’a pas longtemps hésité. Plutôt que de se fondre dans l’offre new-yorkaise, elle a ouvert le 18 septembre un splendide espace avec l’artiste Ayana Jackson. « C’est une ville remplie de symboles, c’est le fief de Barack Obama et d’Oprah Winfrey, Chicago peut s’intéresser aux artistes africains et africains-américains », s’enthousiasme la fougueuse jeune femme.
Si les grands tycoons des années 1990 ont disparu, de plus jeunes fortunes ont émergé, comme le hedge-funder Kenneth Griffin, qui s’est offert un De Kooning et un Pollock pour 500 millions de dollars. « Les collectionneurs de Chicago ont été parmi les premiers à acheter les impressionnistes, bien avant les Français, et parmi les premiers à s’intéresser aux surréalistes, vante Tony Karman, qui a lancé Expo Chicago en 2012. Encore aujourd’hui ils cultivent la même indépendance d’esprit. » « Ils sont engagés auprès des institutions locales, il y a une certaine fierté d’appartenance à la ville », confirme Sibylle Friche, directrice de la galerie Document, qui participe à la nouvelle foire off Chicago Invitational organisée par NADA.
Ces atouts n’ont pas laissé insensibles les nouvelles recrues d’Expo Chicago comme Thaddaeus Ropac et Marian Goodman, ainsi que les galeries françaises Ceysson & Benetière, Praz-Delavallade, Papillon ou Hervé Bize présent avec un solo show d’Alain Jacquet. La galerie RX a même décidé de miser sur la foire pendant cinq ans, quelles qu’en soient les résultats immédiats. « Je sais que les affaires sont lentes ici, les collectionneurs du Midwest prennent leur temps, admet son directeur Éric Dereumaux, qui propose un focus sur Joël Andrianomearisoa. Je peux toutefois avoir ici plus de visibilité il y a moins d’exposants et d’événements parallèles. »
La concurrence est-elle pour autant moins rude au quotidien à Chicago ? Pas vraiment, estime Sibylle Friche. Mais, précise-t-elle, « il y a sûrement un peu moins de pression qu’à New York car les loyers sont moins chers. » Les artistes l’ont compris. Depuis trois ans, Nate Young, Brendan Fernandes ou Ebony G. Patterson s’y sont établis, attirés par des espaces abordables de South Side et West Side, majoritairement habités par une population noire exclue des programmes de développement économique qui ont profité au nord de la ville. « On a connu autrefois un exode pour les côtes est et ouest, reconnaît Monique Meloche, mais les gens ont fini par comprendre qu’à Chicago, on peut respirer ! »
À voir
Expo Chicago, jusqu’au 22 septembre, expochicago.com
The Chicago Invitational, jusqu’au 21 septembre, newartdealers.org
« ...and other such stories », Biennale d’architecture de Chicago, jusqu’au 5 janvier, chicagoarchitecturebiennal.org