« Parmi les choses qui nourrissent la vie politique, l’art et la culture occupent une place capitale. Nous continuerons à ouvrir des musées afin qu’Istanbul puisse hisser sa position mondiale en matière de rayonnement artistique. » Ironie du sort, ces propos ont été énoncés par Recep Tayyip Erdoğan. C’était en 2004. Alors premier ministre, celui-ci inaugurait le musée Istanbul Modern sur les rives d’un Bosphore scintillant. Hasan Özgür Top, vidéaste de 32 ans originaire d’Antalya, dans le sud-ouest de la Turquie, évoque cette période avec amertume. « C’était très prometteur à l’époque. À peine arrivé à Istanbul, je pensais immédiatement commencer à exposer et à vendre mes œuvres ! », explique-t-il via Skype. Nul besoin de préciser que cet espoir aura été furtif. Hasan Özgür Top faisait alors partie d’une nouvelle génération d’artistes turcs iconoclaste, sûre d’elle-même et n’hésitant pas à tourner en dérision les tares de ses gouvernants. Mais après la suppression de certains de ses écrits sur la toile, l'artiste s’est rendu compte qu’il risquait gros s’il ne souscrivait pas à une dose d’autocensure. « Pour continuer à créer librement, je suis parti. » C’est ainsi qu’en septembre dernier, Hasan Özgür Top a rejoint la colonie grandissante d’artistes turcs réfugiés à Berlin. « Nous sommes tellement nombreux qu’il m’arrive d’oublier que je suis en Allemagne ! » Néanmoins, l’exil n’est pas tâche facile. « Bien sûr que je serais resté en Turquie si j’avais pu », poursuit l’émigré.
Chape de plomb
Il est vrai que les choses auraient pu se passer autrement. Pour beaucoup, les années 2000 correspondent à un âge d’or de l’art en Turquie. Porté par une croissance économique fulgurante, le marché de l’art a connu un essor sans précédent. Naguère cantonnées à quelques projets philanthropiques, les galeries ont vu leur nombre exploser dans l’ancienne capitale ottomane. Et à l’instar de Kutluğ Ataman, Halil Altındere ou Banu Cennetoğlu, les artistes made in Turkey ont acquis une notoriété planétaire. Qui plus est, la biennale d’Istanbul, lancée en 1987,…