Après tant de foires dépolitisées, Art Unlimited, la section monumentale d’Art Basel, n’a fait l’impasse sur aucun sujet brûlant : Trump, #metoo, l’affaire Kashogghi... tout est là. Mais l’exercice, hélas trop poussif, montre les limites d’un art contestataire configuré pour épater les visiteurs de la plus grande foire du monde.
Prenons l’immense sculpture de Coco Fusco représentant Donald Trump en homme de fer blanc, un personnage ambigu du Magicien d’Oz. Osons poser la question à X francs suisses : WTF ? Pour surligner la grandiloquence du président américain, l’artiste cubano-américaine a recours à la caricature, mais cette veine kitsch trouverait mieux sa place dans les galeries de la place des Vosges. On a connu Coco Fusco plus inspirée, car franchement provocatrice, quand elle avait fait le tour du monde avec son ami Guillermo Gómez Peña, tous deux déguisés en indigènes dans une cage, façon zoo humain, afin de dénoncer des discriminations héritées du colonialisme. C’était au début des années 1990, quand ce combat n’était encore ni politiquement correct ni bankable.
Trente ans plus tard, Sislej Xhafa a d’ailleurs repris ce dispositif, mais la tragédie devient farce. En installant en plein Art Unlimited un vendeur d’œufs cubain qui n’avait jusqu’à présent jamais quitté son île, l’artiste bosniaque prétend critiquer le tourisme non éthique. Las, à Bâle, cet homme est mitraillé par un public premier degré, posant à ses côtés, comme le font les touristes avec les guerriers masaïs ou chefs apaches. Le vieil homme embauché par Sislej Xhafa affiche un sourire de circonstance – espérons qu’il bénéficie d’un contrat suisse en bonne et due forme.
Le malaise éprouvé n’est pas sans rappeler celui suscité par Christoph Büchel, qui a cru courageux d’installer à la Biennale de Venise un navire dont le naufrage a provoqué la mort de près d’un millier de migrants en 2015. Là aussi, l’artiste s’était passé du minimum d’explication, posant une œuvre destinée à édifier les foules sans le moindre cartel. L’épave, vidée de son sens, s’est transformée illico en spot à selfie… Dans le même temps, l’exposition organisée par l’UNHCR sous le libellé « Rothko à Lampedusa », en réponse à la crise des réfugiés, n’a pas rallié les foules...
À quoi sert la politique spectacle offerte à Bâle et Venise ? À amuser la galerie en donnant aux collectionneurs la mini dose de bonne conscience permettant de dé(penser) sans compter. L’art politique présenté à l’étuvée, dans le confort de l’entre-soi arty et non au sein de la cité, entérine l’ordre des choses bien plus qu’il ne le perturbe. Tapageuse, cette fanfare ne sort pas des quatre murs bien insonorisés et molletonnés du marché.