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Gentrification : en Allemagne les artistes se mobilisent

Gentrification : en Allemagne les artistes se mobilisent
Vue des ateliers des Gerichtshöfe, Berlin.
© Kunst in den Gerichtshöfen.

À qui appartient la ville ? Aux investisseurs ou aux hommes et femmes qui donnent vie aux quartiers ? Le manque de logements et leur prix élevé ont fait descendre des milliers de personnes dans les rues des grandes villes d’Allemagne il y a quelques semaines. Contre la gentrification en cours, les artistes se mobilisent aussi. Pour eux, l’espace nécessaire à leur création devient de plus en plus cher, notamment à Berlin, Hambourg ou Cologne. À Hambourg, des artistes renommés tels que le réalisateur allemand Fatih Akin, le groupe de hip-hop Fettes Brot ou l’acteur, musicien et auteur Rocko Schamoni se battent pour sauver un lieu situé dans le quartier d'Altona, au centre historique de la ville portuaire. Des centaines d’artistes et d’artisans y vivent et y travaillent. Mais, depuis qu’un investisseur berlinois a acheté le site, l’idylle est menacée : les locataires craignent l’envolée des loyers qui ne cessent d’augmenter. Sous le slogan « Viva la Bernie », allusion à la Bernstorffstraße dans laquelle se trouvent ces anciens dépôts, tous se mobilisent et des concerts de solidarité sont organisés. Les prix ont augmenté de 5 % en 2018, pour atteindre 11,90 euros le mètre carré. Sur le plan national, la ville hanséatique se classe au quatrième rang derrière Munich (18,10), Francfort (13,90) et Stuttgart (12,50).

À Berlin, bien que les loyers aient fortement augmenté l’année dernière (+ 13 %, pour un prix moyen de 11,70 euros le mètre carré), ils restent encore inférieurs à ceux des autres grandes villes. Mais c’est la première fois que la capitale, ville de prédilection des artistes du monde entier, s’ajoute à la liste des dix villes les plus chères d'Allemagne. Depuis 2016, Berlin perd environ 350 ateliers chaque année. À Wedding, un quartier du centre-nord de Berlin, se trouve le complexe des Gerichtshöfe, un ancien parc d’activité commerciale et industrielle. Environ 70 artistes sont encore installés dans cet ensemble de bâtiments de plus de 10 000 m2, mais ils craignent de perdre bientôt leurs ateliers suite au plan de restructuration annoncé par le propriétaire. Dans le quartier voisin de Gesundbrunnen, on sent la même inquiétude : depuis qu’un investisseur privé a repris le site d'Uferhallen constitué d’anciens dépôts de service de voirie, une cinquantaine d’ateliers risquent de disparaître. Contre cette Ateliersterben (mort des ateliers), un collectif de 50 artistes a créé l’automne dernier une coopérative à Charlottenburg-Wilmersdorf.

Assèchement culturel

Les hausses du marché immobilier à Berlin commencent à tuer le mythe de l'« Eden » pour artistes. À Berlin-Mitte, quartier qui constitue le centre berlinois, la gentrification s’est mise en marche il y a quelques années déjà. La célèbre galerie photo C/O Berlin a été l’une des premières à en faire les frais. Installée depuis le début des années 2000 dans le Postfuhramt, un immense bâtiment néoclassique du XIXe siècle qui hébergeait la Poste autrefois, la galerie a dû céder la place à un complexe hôtelier chic. Ses expositions des œuvres de Robert Capa et Henri Cartier-Bresson avaient contribué à la renommée du quartier. Aujourd’hui, elle est installée à Amerika Haus dans le quartier de Charlottenburg. Son départ a eu comme conséquence le début d’un assèchement culturel. Sur le chemin de l'Oranienburger Straße, en direction de Hackesche Höfe, on trouve désormais des bâtiments rénovés étincelants et des boutiques de créateurs chics.

Dans ce même quartier, à quelques mètres du Postfuhramt, se trouve le fameux Tacheles (franc-parler, en yiddish). Occupé par des artistes entre 1990 et 2012, ce bâtiment de cinq étages était l’un des plus célèbres squats de Berlin. En septembre 2012, il a été partiellement évacué. Le public peut encore visiter son jardin de sculptures et une trentaine d’ateliers. Le Tacheles, qui dispose aussi d’un cinéma et d’un bar, est devenu une véritable attraction touristique, faisant venir environ 400 000 personnes chaque année. On s'attend pourtant à ce que ses résidents quittent bientôt les lieux car le nouveau propriétaire, le fonds Perella Weinberg Partners, basé à New York, qui l’a acheté en 2014 pour 150 millions d’euros, prévoit de rénover les bâtiments pour y installer notamment des appartements et des magasins…

Vue des ateliers des Gerichtshöfe, Berlin.
Vue des ateliers des Gerichtshöfe, Berlin.
© Kunst in den Gerichtshöfen.
Vue du Bernstorffstraße 117, Hambourg.
Vue du Bernstorffstraße 117, Hambourg.
© Bernstorffstraße 117.
Animations noctures au complexe des Gerichtshöfe, Berlin.
Animations noctures au complexe des Gerichtshöfe, Berlin.
© Kunst in den Gerichtshöfen.
Vue extérieure du Kunsthaus Tacheles, Berlin.
Vue extérieure du Kunsthaus Tacheles, Berlin.
Photo Mazbln.
Vue intérieure du Kunsthaus Tacheles, Berlin.
Vue intérieure du Kunsthaus Tacheles, Berlin.
Photo Roi Boshi.

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