C’est le Graal pour les artistes : tous les deux ans, ils sont une petite centaine à jouer les ambassadeurs pour leurs pays à la Biennale de Venise. Avec 500 000 visiteurs en moyenne – dont 8 000 journalistes – sur six mois, Venise offre une incroyable plate-forme permettant de peaufiner son réseau et d’espérer accéder ainsi au marché international.
Aussi les nations sont-elles prêtes à se saigner pour des productions dont les coûts s’échelonnent de 250 000 à plus d’un million d’euros. Certains pays vont même plus loin : en 2015, l’Australie s’était dotée d’un pavillon flambant neuf pour un coût de 7,5 millions de dollars. « Il y a des attentes fortes, on espère toujours un Lion d’or, admet Pierre Buhler, président de l’Institut français. Notre travail est de lui apporter le meilleur environnement possible. » Pour cela, l’État français donne à chaque édition 600 000 euros, un apport stabilisé malgré les coupes de 25 % qu’avait connu l’Institut français entre 2011 et 2017, et d’un niveau honorable comparé aux 300 000 livres sterling octroyé par le British Council au pavillon britannique occupé par Cathy Wilkes.
Pierre Buhler l’admet, « aucun autre événement d’art contemporain de l’Institut français n’est financé à cette hauteur », cette somme représentant 30 % des fonds dédiés aux arts plastiques. Au Danemark, malgré la baisse annuelle de 2 % de son budget depuis cinq ans, le Danish Art Foundation a sanctuarisé sa dotation de 580 000 euros au pavillon national.
De telles sommes, qui servent notamment à financer la maintenance du pavillon, sont toutefois insuffisantes. À la manne de l’Institut français s’ajoutent cette année le mécénat exclusif de plusieurs centaines de milliers d’euros du Fonds Chanel pour les femmes dans l’art et la culture, des contributions de la FNAGP (35 000 euros), du LaM à Villeneuve d’Ascq et des Abattoirs de Toulouse (chacun 15 000 euros) – qui accueilleront le pavillon après la Biennale de Venise – ainsi que des trois galeries Nathalie Obadia, Lisson et Carlier Gebauer. Coût total : 1,75 million d’euros.
La quête des contributions privées est devenue cruciale. En 2013, l’Italie a dû recourir à une souscription publique pour boucler son budget. En 2005, faute d’avoir levé assez de fonds, le pavillon américain avait failli ne pas ouvrir. Cette année, il repose majoritairement sur les largesses des privés, dont la Fondation Bloomberg, le département d’état américain ne contribuant qu’à hauteur de 250 000 dollars.
Un mois avant le coup d’envoi de la Biennale, le pavillon suisse, qui jouit de 700 000 francs suisses de Pro Helvetia, dont seulement 280 000 francs suisses pour le projet artistique, cherchait encore de nouveaux mécènes. Faute de sponsor privé cette année, le pavillon néerlandais repose uniquement sur le budget de 700 000 euros alloué par le Fonds Mondrian. Le pavillon portugais jouit d’un mix de financement privé-public, notamment des galeries de Leonor Antunes (Marian Goodman Gallery, Kurimanzutto, Luisa Strina et Air de Paris), portant la dotation finale à 500 000 euros. Le pavillon danois a complété in extremis son budget par quelques 200 000 euros levés auprès d’une demi douzaine de fondations privées locales.
L’ardoise est encore plus douloureuse pour les plus petites nations, qui doivent louer un palais dans la ville ou, pour les plus chanceux, un espace à l’Arsenal, pour lequel il faut débourser entre 80 000 et 200 000 euros. Le Kosovo alloue ainsi 250 000 euros à son pavillon, dont la moitié est happée par la location d’un lieu dans l’Arsenal. « Cette représentation est très importante pour nous, sachant que la contribution à la culture au Kosovo n’est pas grande, confie Arta Agani, organisateur du pavillon, qui a réussi à glaner 50 000 euros de mécénat. Pour un pays qui n’a eu son indépendance que voilà onze ans, cette participation représente beaucoup pour nous. Cela nous permet d’établir de nouvelles connexions. » L’Argentine, le Pérou, l’Afrique du Sud, la Turquie, les Émirats arabes unis, le Mexique, Singapour et le Luxembourg ont choisi d’être dans la Sala d’Armi pour vingt ans en payant le coût de la restauration des espaces.
D’autres pays ont toutefois été contraints d’annuler leur participation faute d’argent. C’est le cas du Kazakhstan, dont l’un des co-commissaires, Nadim Samman, attendait depuis des mois ses émoluments...