L’invitation faite aux galeristes cette année de mettre en avant les femmes artistes arrive dix ans après l’exposition « Elles » du Centre Pompidou, qui avait dédié pendant douze mois l’accrochage de ses collections à des artistes femmes du XXe siècle. Cette exposition emblématique avait été initiée par la conservatrice Camille Morineau (actuellement directrice des expositions et collections de la Monnaie de Paris) qui avait constaté que les artistes au féminin étaient très largement sous exposées dans les institutions.
La barre des 30%
Pour ne pas en rester là – une seule exposition qui allait changer les choses –, la jeune femme a cofondé en 2014 l’association Aware (Archives of Women Artists, Research & Exhibitions), qui œuvre à renforcer la visibilité des artistes femmes à travers diverses actions (archives, travaux de recherche, prix, expositions). Un travail de longue haleine car force est de constater que les données stagnent : on compte aujourd’hui 15 à 30% de participation d’artistes femmes dans les expositions institutionnelles. Ce serait même pire dans le marché de l’art : la plupart des galeries n’en représenterait que 15%.
Des carrières oubliées
C’est tout naturellement vers Aware que Guillaume Piens, directeur artistique d’Art Paris, s’est tourné pour opérer un changement de paradigme, le temps d’une édition de la foire qui marquera peut-être suffisamment les esprits pour faire bouger les lignes à l’avenir. Les galeries ont répondu à l’appel puisque le nombre d’artistes femmes sur la foire a progressé cette année de près de 50% par rapport à la précédente édition et que 43% des solo shows leur sont dédiés. Aware a sélectionné 25 projets artistiques au féminin au sein de la foire, lesquels mettent souvent en lumière des carrières mésestimées, voire oubliées. Autant de talents à découvrir ou à redécouvrir, comme Bernadette Bour (galerie Françoise Livinec, Paris), unique femme du groupe Supports/Surfaces qui avait pendant longtemps disparu du monde du marché de l’art, ou Vera Molnar (galerie Oniris, Rennes), pionnière de l’art numérique.
De Cueco à Casadesus
Voici encore Marinette Cueco (galerie Univer, Paris), dont non seulement l’art singulier du tressage d’herbes est resté longtemps incompris, mais dont la célébrité du mari, le peintre Henri Cueco (mort en 2017), a longtemps éclipsé toute chance de reconnaissance. De même, défendue par le galeriste français Jérôme Poggi, la Norvégienne Anna-Eva Bergman (1909-1987) aura été toute sa vie dans l’ombre de son époux Hans Hartung, à la renommée internationale. Art Paris donne aussi à voir un exceptionnel solo show de Béatrice Casadesus, figure française de l’abstraction à la sensibilité pointilliste, à la galerie Dutko qui a reconstitué son atelier sous la verrière du Grand Palais. Citons encore Malala Andrialavidrazana portée par la commissaire d’expositions Caroline Smulders : cette photographe malgache, lauréate du prix HSBC pour la Photographie en 2004, a la double peine d’être femme et africaine.