Le Quotidien de l'Art

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Les musées du Qatar, symboles de cohésion nationale

Les musées du Qatar, symboles de cohésion nationale
Vue aérienne du futur musée national du Qatar, dessiné par les Ateliers Jean Nouvel.
© Iwan Baan.

Il y a environ dix ans, les pays du Golfe persique signalèrent leurs ambitions culturelles en annonçant l’ouverture d’un certain nombre de musées dessinés par des « starchitectes ». Le musée d’Art islamique d'Ieoh Ming Pei a ouvert à Doha, en 2008. En 2007, Abu Dhabi annonçait ses plans pour une île des musées sur Saadiyat ; Doha a rapidement répondu avec des plans pour un Musée national du Qatar. Il est ironique qu’aujourd’hui, une décennie plus tard et dans un climat politique très différent, seulement deux aient ouvert : le Louvre Abu Dhabi, en novembre 2017, et le Musée national du Qatar le 28 mars prochain, tous deux conçus par le même architecte, Jean Nouvel. Aujourd’hui, comme on le sait, il n’est plus question d’objectifs internationaux communs, mais d’une concurrence fraternelle implacable.

Le Musée national du Qatar s’inspire de l'idée de la « rose des sables », qui n'est pas une fleur, mais une agglomération de cristaux de roche, et ressemble à une série de disques jetés négligemment sur la corniche de la ville. Il y a eu peu de couverture médiatique à propos de cet ajout au paysage muséal, comparé au battage mondial qui entoura l'ouverture du Louvre Abu Dhabi. Si un musée national est toujours moins important sur le plan international qu'un musée universel, on a aussi l’impression que les médias sont passés à autre chose : on a moins évoqué le traitement des ouvriers, il y a eu moins de réflexions sur la présence d'institutions occidentales dans des pays non-démocratiques et, de manière générale, moins de prises de position sur ce que les ambitions culturelles du Golfe signifient pour l'Occident.

Récit national

Mais le Musée national du Qatar est à sa manière discrètement politique car il fait la lumière sur la distribution du pouvoir dans les pays du Golfe. L’institution raconte l'histoire du Qatar, de l'âge géologique et pré-humain, il y a 700 millions d’années, à la vie nomade dans l'ère pré-pétrolière, jusqu’à la modernisation et le règne de la famille Al Thani. De fait, elle se trouve sur la même parcelle de terrain que le palais du Cheikh Abdullah Bin Jassim Al Thani (1880-1957), fondateur du Qatar moderne, devenu par la suite le siège du gouvernement, puis le premier musée national (il est prévu que le palais soit inclus dans l’architecture, mais on ne sait pas à quel point il sera encore visible). Ce récit, du pré-pétrole à la famille régnante, est le mode le plus répandu d’explication historique dans les musées du Golfe et cimente l'idée selon laquelle l'État-nation et la famille royale ne font qu’un.

Il ne faut pas y voir un mode de propagande politique néfaste. Le but de tout musée national est de présenter un mythe des origines, de célébrer l'identité de la nation et, par extension, le fonctionnement de la gouvernance en son sein – de l'engouement des États-Unis pour les Pères fondateurs aux louanges de la France pour la République. Dans une certaine mesure, il s’agit de propagande, mais n’oublions pas le contexte : les pays du Golfe demeurent des associations de tribus. Les fédérations que ces tribus ont créées, à des moments différents de l’histoire, impliquent que chacune a reçu des faveurs en fonction de son statut – argent, pouvoir, terres – qui se traduisent aujourd’hui par la morphologie de la société politique. Le statut tribal reste important, bien que pour la jeune génération il cède du terrain à l’identité nationale.

Pour ceux qui sont sur place, ce qui importe n’est pas la stature internationale de ces musées ou leur capacité à faire l’objet d’un article, mais le fait qu'ils soient des symboles nationaux pour la jeune population de Doha, qu’elle se sente héritière des tribus ou, galvanisée par les nouveaux musées, simplement qatarie. C’est le prochain chapitre dans l'histoire du Golfe.

Vue du futur musée national du Qatar, dessiné par les Ateliers Jean Nouvel.
Vue du futur musée national du Qatar, dessiné par les Ateliers Jean Nouvel.
© Iwan Baan.

Article issu de l'édition N°1687