« À Paris, un nouveau venu joue des coudes pour trouver sa place sur la scène artistique ». Ainsi titrait le New York Times, il y a pile un an, pour célébrer l’ouverture de Lafayette Anticipations. Pas facile effectivement, pour cette structure novatrice, d’imposer sa singularité dans un paysage qui était déjà tout sauf désertique. Alors qu’approche son premier anniversaire, quel bilan tirer de ce lieu qui se rêve « boite à outils » à destination des artistes, bien plus que centre d’art traditionnel ?
Sans que les chiffres soient divulgués, la fréquentation a déçu. « Avec 162 000 visiteurs en huit mois, la fréquentation a été légèrement en-deçà de nos prévisions, reconnaît François Quintin, qui dirige l’institution rêvée par Guillaume Houzé, arrière-arrière-petit-fils du fondateur des Galeries Lafayette et directeur de la communication du groupe. Entre canicule et foot, l’été a été problématique et les "gilets jaunes" n’arrangent rien cet hiver. Mais nous ne sommes pas loin de notre cible ». C’est pourquoi le conseil d’administration vient d’approuver à l’unanimité un passage à la gratuité, effectif depuis la mi-février. L’effet ne s’est pas fait attendre : dès le premier week-end, la foule était au rendez-vous.
Radicalité
Payer entre 5 et 8 euros le ticket d’entrée était-il le seul et unique frein ? La programmation, volontairement radicale, ne favorise pas non plus un afflux massif de visiteurs. La première exposition de Lutz Bacher relevait davantage de l’immersion dans le bâtiment que du traditionnel accrochage d’œuvres d’art. Mais elle mettait bien en lumière le bâtiment dessiné par Rem Koolhaas – son potentiel, comme ses lacunes. Cet hiver, la proposition de Simon Fujiwara avait le mérite d’adresser les questions ultra-contemporaines du flux des images sur les réseaux sociaux, mais de façon peut-être trop complexe pour attirer le public jeune qui aurait pu s’y retrouver (et s’y faire intelligemment secouer).
Féru d’architecture, l’artiste lui-même reconnaissait en outre « s’être joué du bâtiment, plutôt que d’en avoir joué », sceptique quant à la possibilité qu’il offre de se reconfigurer en permanence. Cette plasticité extrême, qui autorise des centaines de configurations, a-t-elle déjà trouvé ses limites, comme cela a été le cas des utopies modulaires de Jean Prouvé après-guerre ? « Nous sommes censés composer avec deux à trois configuration par an, nous en avons déjà opéré une vingtaine », recadre François Quintin.
Quant à l’accrochage collectif de l’été dernier (intitulé « Le centre ne peut tenir »), riche en découvertes, il a souvent déçu les amateurs d’expositions thématiques. « Toute exposition de groupe est difficile, d’autant plus que nous ne montrions que des jeunes artistes inconnus, mais il était important pour nous de montrer notre capacité à produire, insiste François Quintin. Tout ce qui était montré a été fait ici, c’est notre signature ». « Une manifestation inconsistante, comme dépassée par le bâtiment », critiquaient pourtant Les Inrocks. Cette descente en flèche a-t-elle provoqué, comme certains l’affirment, une mise au point sévère de la famille Houzé, très présente dans le conseil d’administration ? Certains curateurs qui ont monté le projet n’ont en tout cas pas vu leur contrat renouvelé : « Cette plateforme curatoriale n’est en rien un échec, mais il était parfois difficile pour nos interlocuteurs de comprendre à qui s’adresser. Le modèle peut évoluer », se défend Quintin. Et de préciser : « Hicham Khalidi a rejoint l’académie Van Eyck aux Pays-Bas, Charles Aubin est très investi sur la prochaine Performa de New York et Anna Colin est toujours là ». Quant au modèle « exposition collective », il n’apparaît pas dans les priorités. Le directeur lui-même le reconnaît, le lieu « résonne mieux quand un artiste en joue comme d’un instrument ». Ce sera le cas à l’été avec la designer Hella Jongerius, qui le transformera en machine à tisser géante, ou l’hiver prochain avec la sculptrice Katinka Bock.
Alchimie
Lafayette Anticipations reste, malgré ces bémols, une institution des plus précieuses, capable d’une inventivité rare et sensible aux questions sociétales : on louera notamment son écriture inclusive à tous les étages (de la programmation aux cartels) et son engagement auprès de publics dits « éloignés », à commencer par les enfants réfugiés, invités lors de workshops. Produits sur place grâce à une imprimante hi-tech appelée « rizo », catalogues et aides à la visite sont des bijoux de graphisme et d’intelligence. Dédiés à la danse ou à la musique, les festivals Échelle Humaine et Closer Music se sont imposés d’entrée comme des rendez-vous incontournables : le Festival d’Automne réitère son partenariat et Étienne Blanchot va désormais programmer régulièrement des concerts dans le patio.
Surtout, Lafayette Anticipations demeure une ressource unique en France pour la production d’œuvres d’art : elle était par exemple aux manettes pour le dernier film de Wu Tsang dévoilé à la Biennale de Sharjah ou pour les dernières pièces d’Ida Ekblad montrées à Zurich. Tout en haut de l’immeuble, la dernière sculpture de Camille Blatrix évoque les chefs-d’œuvre que réalisent les compagnons pour faire montre de leur savoir-faire : une alchimique marqueterie de bois et de mystère, qui n’aurait pu n’être réalisée qu’ici, dans ce « laboratoire du doute ».
À voir
« Atelier E.B – Passer By », et « Camille Blatrix – Fortune », jusqu'au 28 avril, Lafayette Anticipations, 9 rue du Plâtre, Paris (4e), lafayetteanticipations.com