Frida Kahlo choque encore. L'artiste mexicaine aurait probablement été amusée de voir qu'en 2018 l'évocation de son parcours pouvait encore être taxée de « propagande communiste ». C'est ainsi qu'un journal pro-gouvernemental, le Magyar Id?k, a qualifié sa rétrospective à la Galerie nationale hongroise, en août dernier. Cela n'a en rien empêché les visiteurs d'y affluer. Mais Adriana Lanto, commissaire de l'exposition, a dû se justifier d'y avoir évoqué la relation de la peintre avec Léon Trotski. En juillet, la comédie musicale Billy Elliot (adaptée du film éponyme), programmée à l'Opéra de Budapest, était dénoncée comme « propagande homosexuelle » par le même journal. La polémique a été suffisamment vive pour que l'Opéra annule quinze représentations et que son directeur repentant annonce une saison 2019-2020 placée sous le signe du christianisme… Faut-il voir dans ces deux exemples, médiatisés à l'étranger, le signe de la « bataille culturelle » annoncée par Viktor Orbán ? « C'est surtout ridicule ! tempère Gergely Nagy, critique d'art pour le site indépendant artportal.hu et cofondateur de la OFF-Biennale de Budapest. Les directeurs de la Galerie nationale et de l'Opéra sont des fidèles du gouvernement ; les médias propagandistes ont juste surréagi à une exposition commerciale et inoffensive. Mais c'est tout de même un avertissement aux responsables d’institutions : "Vous êtes sous surveillance". » Avertissement à prendre au sérieux : une autre controverse a vu le départ de Gergely Pr?hle, directeur du musée littéraire Petõfi, suite aux articles incendiaires de la presse conservatrice à propos d'une exposition présentée dans l'annexe du musée, consacrée à l'écrivain et artiste Lajos Kassák, figure de l'avant-garde hongroise du siècle dernier. Elle retraçait l'action des artistes qui, le 1er mai 1919, s'étaient emparés de la ville au cri de « Tout est à nous ! » en recouvrant les statues jugées politiquement et artistiquement rétrogrades. Dans un pays où l'histoire fait aujourd'hui l'objet d'un révisionnisme nationaliste, ce symbole a visiblement porté le fer dans la plaie.
Tour d'écrou
C'est un leitmotiv de différents acteurs de la scène artistique indépendante : les médias pro-gouvernementaux sont les artificiers de la censure. Suite à la fermeture et au rachat des journaux d'opposition ces deux dernières années, la presse, qui est quasiment à 100 % pro Fidesz (le parti de droite dirigé par Viktor Orbán), est le sniper d'une guerre désormais ouverte, mais larvée de longue date. Pour Gergely Nagy, comme pour Hajnalka Somogyi, directrice de la OFF-Biennale de Budapest, cette guérilla entre un paysage artistique institutionnel contrôlé par le gouvernement et une scène indépendante foisonnante et turbulente est apparue dès la…