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Art-O-Rama : Marseille lance la saison

Art-O-Rama : Marseille lance la saison
Hangar du J1 qui accueillera cette nouvelle édition d'Art-O-Rama.
Photo : D.R.

Mobilisant entièrement la ville du 31 août au 2 septembre, la foire change de lieu cette année et donne une couleur très singulière à la rentrée. Détendue et prospective, Art-O-Rama prend sa force d’une ville mosaïque, où se mélangent initiatives privées et projets originaux imaginés par les artistes.

« Si je me retrouve ici plus souvent qu’ailleurs, c’est parce qu’ici je suis ailleurs / Si quand je suis ailleurs je reviens, c’est pour mieux repartir ». Ce sont les mot de Liliane Giraudon, formidable écrivaine publiée chez P.O.L, à propos de Marseille, où elle vit. « Si la ville est imprenable, c’est qu’elle n’est à personne ». Cette errance associée aux villes portuaires donne à Marseille une position très singulière sur le marché de l’art contemporain, avec des atouts qui n’ont pas toujours su être valorisés. D’une part, son histoire et sa population transculturelle lui donnent la possibilité de jouer un rôle majeur dans un dialogue Sud-Sud, devenu une nécessité face au schéma monolithique centre-périphérie. D’autre part, elle intègre une mouvance globale décentralisée, où émergent des villes hors des hyper-centres historiques, comme Los Angeles, Mexico, Athènes, Lisbonne, Istanbul ou Dakar.

Le dynamisme des collectionneurs

De nombreux artistes continuent de s’installer dans la cité phocéenne et y organisent des projets et expositions hors format. Cette année, le collectif Sans titre (2016) invite des artist-run-spaces de Bruxelles, Athènes, Vienne et Berlin à exposer dans un site de réparation navale, à côté de la foire. Ce qui a toujours fait la force de la ville, bien plus que ses institutions, c’est la présence d’un nombre significatif de collectionneurs dynamiques et de prescripteurs. Sébastien Peyret, par exemple, est à l’origine de l’espace Atlantis, où exposera l’Américain Michael E. Smith, sur proposition du curateur Chris Sharp. Il s’agit d’un des sept lieux d’exposition qui intègrent la rue du Chevalier Roze - à l’image du project space de la galerie bruxelloise Catherine Bastide ou d’une antenne de la galerie parisienne Crèvecoeur. « Plutôt que de parler de potentiel, il est évident pour moi que Marseille a déjà une vraie structure. C’est une grande ville populaire, une capitale méditerranéenne qui a su créer sa propre dynamique, dont je suis en train d’apprendre le fonctionnement », évoque Axel Dibie, co-responsable de Crèvecoeur et membre du comité de sélection d’Art-O-Rama. « C’est indubitablement la ville française, en dehors de Paris, qui a le noyau dur de collectionneurs le plus fort et le plus grand nombre d’artistes. Indépendamment de la pérennité du pôle de la rue du Chevalier Roze, nous souhaitons garder un espace dans cette ville plutôt qu’ailleurs. Art-O-Rama y apporte évidemment un moment privilégié, un esprit tout à fait singulier face au nombre exponentiel de foires actuelles. J’ai l’impression d’y avoir des échanges plutôt que des négociations, qui se prolongent dans les différents rendez-vous organisés le week-end, j’y rencontre plutôt des collectionneurs que des acheteurs », poursuit-il.

Déménagement pour la Joliette

Cette année, Art-O-Rama quitte la Friche la Belle de Mai, son lieu de toujours, pour investir le J1, un bâtiment à l’architecture brutaliste avec une vue exceptionnelle sur le port autonome et sur la mer, ce qui a permis d’augmenter le nombre de galeries, d’éditeurs et de projets invités (37), tout en gardant une taille réduite, sa marque de fabrique. Cela l’inscrit certes dans le quartier plus corporate de la Joliette, où règnent les entreprises, mais la rapproche aussi du triangle d’or des institutions locales - le Mucem, le Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques et le Frac PACA, qui organise pour la première fois un vernissage pendant la foire. « La foire garantit de très grands espaces pour chaque galerie et s’adapte à leurs projets in situ ; elle prolonge ses dates d’ouverture pendant deux semaines, ce qui permet à un plus large public de la voir », rappelle le collectionneur Joseph Kouli, membre de son comité de sélection. « Mon rôle, c’est aussi d’apporter du sourcing, celui d’un ambassadeur en quelque sorte pour rappeler des collectionneurs et des galeries que j’estime aux mérites de la foire et les inciter à soumettre leur candidature. Il est évident que l’objectif n’est pas de grandir en nombre de galeries mais d’augmenter la qualité de leurs projets, ce que je n’ai pas vérifié sur d’autres foires dans ce même créneau des galeries émergentes comme Artissima à Turin. Le plus important chez Art-O-Rama, c’est cette sensation d’été, où tout le monde est VIP. Le collectionneur Christophe Veys me dit qu’il la considère comme la meilleure foire du point de vue de l’accueil des organisateurs et du temps accordé aux échanges, lui permettant de faire des vraies découvertes ».

Comme Los Angeles il y a vingt ans

Les lieux d’exposition de la ville (réunis dans le réseau Marseille Expos) se mobilisent à cette occasion et consacrent des expositions : John Deneuve à la galerie des Bains Douches, Grégoire Motte à HLM, Fabienne Audéoud et Cécile Noguès au Salon du Salon ou Matthieu Cossé à OÙ. Les projets parallèles eux aussi se multiplient - à l’image de l’exposition collective proposée par la curatrice Arlène Berceliot Courtin dans l’atelier d’Adrien Vescovi ou celle imaginée par Jordi Antas et Sergio Verastegui à la plage de la Verrerie - et sont des occasions exceptionnelles pour saisir ce qui fait l’esprit inclusif de la ville, un mélange d’informel et de professionnalisme. « C’est le secret le mieux gardé de la rentrée internationale, une foire tête chercheuse, expérimentale, avec une taille humaine et une qualité de temps qui permettent de tisser et surtout de garder des liens avec les personnes rencontrées. On y croise aussi bien Jennifer Flay que le curateur du MoMA Stuart Comer », souligne François Ghebaly, galeriste français depuis longtemps installé à Los Angeles et membre actuel du comité de sélection de la foire. « Marseille me parait la ville qui offre l’antithèse à la saturation de Paris, une ville métissée, où il y a encore de l’espace. Dans une synergie avec la dynamique des institutions présentes dans le Sud, à Arles, Nice ou Montpellier, cela me rappelle Los Angeles, toutes différences comprises. Le potentiel est là, il faut voir ce qu’était L.A. il y a vingt ans ». Art-O-Rama est en tout cas devenue le rendez-vous incontournable de la rentrée de l’art contemporain en France et sert à rappeler l’exceptionnelle situation d’une ville qui a su se construire une place dans la cartographie artistique, en attendant la venue de Manifesta en 2020. Malgré la faiblesse de ses politiques publiques (la situation très affaiblie de son Musée d’art contemporain en est le signe le plus alarmant), ses acteurs ont su tirer une force de ses manques, de ses paradoxes et de son énergie.

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